L'Ile du jour d'avant
ne le dit pas aux Anglais, ni ceux-ci aux Espagnols. Sur ces mers compte le nez du capitaine qui avec son pauvre loch infère, mettons, qu’il est sur le deux cent vingtième méridien, et, s’il se trouve, il est à trente degrés de plus d’un côté ou de l’autre.
— Mais alors, pressentit le chevalier, celui qui découvrirait un moyen pour établir les méridiens, celui-là serait le maître des océans !
Byrd rougit de nouveau, le fixa pour comprendre s’il parlait de propos délibéré, puis sourit comme s’il voulait le mordre :
— Essayez donc, vous.
— Hélas, moi j’y renonce, dit Roberto en levant les mains en signe de reddition. Et pour ce soir la conversation prit fin au milieu de moult éclats de rire.
Pendant nombre de jours, Roberto ne tint pas pour opportun de ramener le discours sur les longitudes. Il changea de sujet, et, pour ce faire, il prit une décision courageuse. De son couteau, il se blessa une paume. Puis il la banda avec les lambeaux d’une chemise désormais usée jusqu’à la corde par l’eau et les vents. Le soir venu, il montra la blessure au docteur : « Je suis vraiment tête en l’air, j’avais mis le couteau dans mon ballot et sans sa gaine, en fouillant je me suis coupé. Ça brûle beaucoup. »
Le docteur Byrd examina la blessure avec l’œil de l’homme de l’art, et Roberto priait Dieu qu’il portât un bassin sur la table et y diluât du vitriol. En revanche, Byrd se limita à dire qu’elle ne lui semblait pas de grande conséquence, il lui conseilla de bien la laver le matin. Mais, par un heureux caprice de la fortune, le chevalier vint à son secours : « Eh, il faudrait avoir l’onguent armaire !
— De quoi diable parlez-vous ? avait demandé Roberto. Et le chevalier, comme s’il avait lu tous les livres que Roberto connaissait à présent, se mit à louer les vertus de cette substance. Byrd se taisait. Roberto, après le beau coup du chevalier, lança les dés à son tour : « Mais ce sont des contes de vieille nourrice ! Comme l’histoire de la femme enceinte qui vit son amant la tête coupée et accoucha d’un enfant à la tête décollée du buste. Comme ces paysannes qui, pour punir le chien qui a chié dans la cuisine, prennent un tison et le plantent dans les crottes en espérant que l’animal sente son derrière lui brûler ! Chevalier, nulle personne sensée ne peut croire à ces historiettes !
Son coup avait porté juste, et Byrd ne parvint pas à se taire. – Ah non, mon cher monsieur, l’histoire du chien et de sa crotte est tellement vraie que quelqu’un a fait de même avec un monsieur qui, par dépit, chiait devant sa porte, et je vous assure que celui-là a appris à craindre ce lieu ! Naturellement, il faut répéter l’opération à maintes reprises, et donc vous avez besoin d’un ami, ou ennemi, qui chie fort souvent sur votre seuil !
Roberto ricanait comme si le docteur plaisantait, et de ce fait, il le poussait à fournir, piqué, de bonnes raisons. Qui étaient après tout, à peu de chose près, celles de d’Igby. Mais maintenant le docteur s’était enflammé :
— Eh oui, mon cher monsieur, qui faites tant le philosophe et déprisez le savoir des chirurgiens. Je vous dirai même, puisque de merde nous parlons, que celui qui a mauvaise haleine devrait garder la bouche grande ouverte sur la fosse d’aisances, et à la fin il se trouverait guéri : la puanteur des excréments est bien plus forte que celle de sa gorge, et le plus fort attire et emporte le plus faible !
— Vous me révélez là des choses extraordinaires, docteur Byrd, et je suis saisi d’admiration devant votre science !
— Mais je pourrais vous dire davantage. En Angleterre, lorsqu’un homme est mordu par un chien, on tue l’animal, même s’il n’est pas enragé. Il pourrait le devenir, et le levain de la rage canine, resté dans le corps de la personne qui a été mordue, attirerait à soi les esprits de l’hydrophobie. N’avez-vous jamais vu les paysannes qui versent du lait sur la braise ? Elles y jettent aussitôt une poignée de sel. Grande sapience du vulgaire ! Le lait en tombant sur les charbons se change en vapeur et par l’action de la lumière et de l’air cette vapeur, accompagnée par des atomes de feu, se propage jusqu’à l’endroit où est la vache qui a donné le lait. Or, la mamelle de vache est un organe très granuleux et délicat, et ce feu la réchauffe, la durcit, y produit
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