L'Ile du jour d'avant
réaliste, et qu’il ait commencé à considérer l’atterrage sur l’Île comme L’événement qui aurait donné un sens, et pour toujours, à sa vie.
Avant tout, pour autant que lui importait l’Observatoire, il fût saisi par la seule pensée que cet oracle pût aussi lui dire ce que faisait et où, en ce moment précis, sa Dame. Preuve qu’il est inutile de parler à un amoureux, fût-il distrait par d’utiles exercices corporels, de Messagers Sidéraux : il cherche toujours des nouvelles de sa belle peine et de son cher tourment.
En outre, quoi que lui dît son maître de natation, il rêvait d’une Île qui ne s’offrît pas à ses yeux dans le présent où il était lui aussi, mais qui, par décret divin, reposât dans l’irréalité, ou dans le non-être, du jour d’avant.
Ce à quoi il pensait en affrontant les vagues, c’était l’espoir d’atteindre une Île qui avait été hier, et dont le symbole lui semblait être la Colombe Couleur Orange, insaisissable comme si elle se fut enfuie dans le passé.
Roberto était encore mû par des pensées obscures, il avait l’intuition de vouloir une chose qui n’était pas celle du père Caspar, mais il ne savait pas encore clairement laquelle. Et il faut comprendre son incertitude car c’était le premier homme, dans l’histoire du genre humain, à qui était offerte la possibilité de nager en arrière de vingt-quatre heures.
En tout cas, il s’était convaincu qu’il devait vraiment apprendre à nager et nous savons tous qu’un seul bon motif aide à vaincre mille peurs. Raison pour quoi nous le retrouvons en train d’essayer de nouveau le jour suivant.
Dans cette phase, le père Caspar lui expliquait que, s’il avait lâché l’échelle et bougé librement les mains, comme s’il suivait le rythme d’une compagnie de musiciens en imprimant un mouvement distrait à ses jambes, la mer le soutiendrait. Il l’avait amené à essayer, d’abord la corde tendue, puis donnant du mou sans le lui dire ou l’annonçant quand l’élève avait désormais acquis de l’assurance. Il est vrai que Roberto, à cette nouvelle, s’était aussitôt senti aller par le fond, mais en criant il avait donné par instinct un coup de jambes, et il s’était retrouvé la tête hors de l’eau.
Ces tentatives avaient duré une bonne demi-heure, et Roberto commençait à comprendre qu’il pouvait se maintenir à la surface. Mais à peine tentait-il de se mouvoir avec plus d’exubérance, il rejetait la tête en arrière. Alors le père Caspar l’avait encouragé à seconder cette tendance et à se laisser aller, la tête renversée autant que possible, le corps roide et imperceptiblement arqué, bras et jambes écartés comme s’il devait toucher la circonférence d’un cercle : il se sentirait porté ainsi que par un hamac, et il pourrait rester ainsi des heures et des heures, et même dormir, caressé par les ondes et par le soleil oblique du couchant. Comment se faisait-il que le père Caspar sût toutes ces choses en n’ayant jamais nagé ? Par Théorie Physico-Hydrostatique, disait-il.
Il n’avait pas été facile de trouver la bonne position, Roberto avait risqué de s’étrangler avec la corde entre éructations et éternuements, mais il semble qu’à un certain moment l’équilibre avait été atteint.
Pour la première fois Roberto percevait la mer comme une amie. En suivant les instructions du père Caspar, il avait aussi commencé à bouger les bras et les jambes : il levait légèrement la tête, la lançait en arrière, habitué qu’il était à sentir l’eau dans les oreilles et à en supporter la pression. Il pouvait même parler, et en criant pour se faire entendre à bord.
« Si à présent tu veux te tournes, lui avait même dit à un moment donné Caspar. Tu abaisses le bras droit, comme si il pendrait sous ton corps, hausse tout doux l’épaule gauche, et voilà que tu te retrouves la panse en bas ! »
Il n’avait pas spécifié qu’au cours de ce mouvement il fallait retenir sa respiration, vu qu’on se retrouve la face sous l’eau, et sous une eau qui ne veut rien tant que d’explorer les narines de l’intrus. Dans les livres de Mechanica Hydraulico-Pneumatica ce n’était pas écrit. Ainsi, à cause de l’ignoratio elenchi du père Caspar, Roberto avait bu une autre cruchée d’eau salée.
Mais maintenant il avait appris à apprendre. Il avait essayé deux ou trois fois de se retourner sur soi et
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