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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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père Emanuele, et nous savons que notre naufragé penchait et pour l’une et pour l’autre suggestion. Enfin, le plus beau de la Colombe, du moins (je pense) pour Roberto, c’est qu’elle n’était pas seulement, comme toute Devise ou Emblème, un Message, mais un message dont le message était l’impénétrabilité des messages subtils.
    Lorsque Enée doit descendre à l’Averne – et retrouver lui aussi l’ombre de son père, et donc en quelque sorte le jour ou les jours désormais passés – que fait la Sibylle ? Elle lui dit, oui, d’aller ensevelir Misène, et de faire différents sacrifices de taureaux et autre bétail, mais s’il veut vraiment accomplir un exploit que personne n’a jamais eu le courage, ou la fortune, de tenter, il devra trouver un arbre ombreux et feuillu où pousse un rameau d’or. Le bois le cache et le renferment de sombres vals, et pourtant, sans ce rameau « auricomus », on ne pénètre pas les secrets de la terre. Et qui est-ce qui permet à Enée de découvrir le rameau ? Deux colombes, d’ailleurs – désormais nous devrions le savoir – des oiseaux maternels. Le reste est connu des chassieux et des barbiers. Bref, Virgile ne savait rien de Noé, mais la colombe porte un avis, indique quelque chose.
    On disait bien que deux colombes faisaient office d’oracle dans le temple de Jupiter, où le Tonnant répondait par leur bouche. Puis une de ces colombes s’était envolée jusqu’au temple d’Ammon et l’autre à celui de Delphes, raison pour quoi l’on comprend que les Egyptiens comme les Grecs racontassent les mêmes vérités, fût-ce sous d’obscurs voiles. Sans colombe, point de révélation.
    Mais nous sommes encore là aujourd’hui à nous demander que voulait signifier le Rameau d’Or. Signe que les colombes portent des messages, mais des messages chiffrés.
    J’ignore ce que Roberto pouvait savoir des cabales des Juifs qui étaient aussi très à la mode à cette époque mais, s’il fréquentait monsieur Gaffarel, certaines choses il avait dû les entendre : le fait est que les Juifs avaient bâti des châteaux entiers sur la colombe. Nous l’avons rappelé, ou plutôt c’est le père Caspar qui l’avait rappelé : dans le Psaume 68, on parle d’ailes de la colombe qui se couvrent d’argent, et de ses plumes qui ont des reflets d’or. Pourquoi ? Et pourquoi dans les Proverbes revient une image fort semblable de « pommes d’or réticulées d’argent », avec le commentaire « telle est une parole dite en son temps » ? Et pourquoi dans le Cantique de Salomon, s’adressant à la jeune fille « dont les yeux sont comme des colombes » lui dit-on « O mon aimée, nous te ferons des pendants d’or avec des bulbes d’argent » ?
    Les Juifs commentaient que l’or est celui de l’écriture, l’argent les espaces blancs entre les lettres ou les paroles. Et l’un d’eux, que sans doute Roberto ne connaissait pas, mais qui inspirait encore moult rabbins, avait dit que les pommes d’or qui sont prises dans une résille d’argent finement ciselée signifient que dans chaque phrase des Écritures (et certainement dans chaque objet ou événement du monde) il y a deux faces, l’apparente et l’occultée, et l’apparente est d’argent, mais plus précieuse parce que d’or est l’occultée. Et qui, de loin, regarde la résille avec les pommes enveloppées dans ses fils d’argent, croit que les pommes sont en argent, mais en les observant de près il découvrira la splendeur de l’or.
    Tout ce que contiennent les Saintes Écritures de prima facie luit comme l’argent, mais son sens occulte brille comme l’or. L’inviolable chasteté de la parole de Dieu, cachée aux yeux des profanes, est comme couverte par un voile de pudeur, et gît dans l’ombre du mystère. Elle dit qu’on ne doit pas jeter les perles aux pourceaux. Avoir des yeux de colombe signifie ne pas s’arrêter au sens littéral des mots mais savoir en pénétrer le sens mystique.
    Et pourtant ce secret, telle la colombe, s’échappe et on ne sait jamais où le trouver. La colombe est là pour signifier que le monde parle par hiéroglyphes et donc elle est elle-même le hiéroglyphe qui signifie les hiéroglyphes. Et un hiéroglyphe ne dit ni ne cache, il montre seulement.
    Et d’autres Juifs avaient dit que la colombe est un oracle, et ce n’est pas un hasard si en hébreu colombe se dit tore, qui rappelle la Torah, leur Bible en somme, livre sacré,

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