Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
Vom Netzwerk:
maximum. Il s’était remis en position canine et avait compris : la mer l’avait porté vers le nord, le déplaçant à gauche du vaisseau, de nombreuses brasses au-delà de la pointe du beaupré. En d’autres termes, ce courant, qui filait de sud-ouest à nord-est et qui devenait impétueux un peu plus à l’occident de la Daphne , se faisait en effet déjà sentir dans la baie. Il ne l’avait pas perçu quand il faisait ses immersions à tribord » protégé qu’il était par la masse de la flûte, mais en se déportant à gauche il avait été entraîné, et ce courant l’eût attiré au large si la corde ne l’avait retenu. Lui croyait être immobile, et il s’était déplacé comme la terre dans son tourbillon. Raison pour quoi il lui avait été assez facile de doubler la proue : non que son habileté eût augmenté, c’était la mer qui le secondait.
    Inquiet, il voulut essayer de revenir vers la Daphne par ses propres forces, et il s’aperçut que, à peine s’approchait-il de quelques palmes en faisant le petit chien, au moment même où il ralentissait pour reprendre souffle, la corde se tendait de nouveau, signe qu’il était revenu en arrière.
    Il s’était agrippé au funain et l’avait tiré à lui, tournant sur soi pour se l’enrouler autour de la taille, si bien qu’en peu de temps il était revenu à l’échelle. Une fois à bord, il avait décidé que tenter d’atteindre le rivage à la nage était dangereux. Il devait se construire un radeau. Il regardait cette réserve de bois qu’était la Daphne , et il se rendait compte qu’il n’avait rien pour lui soustraire le moindre tronc, sauf à passer les années à scier un mât avec son couteau.
    Cependant, n’était-il pas arrivé jusqu’à la Daphne attaché à une planche ? Eh bien, il s’agissait de dégonder une porte et de l’utiliser comme nacelle, en la poussant même avec les mains. Pour marteau, le pommeau de son épée ; en insérant la lame en guise de levier, il avait réussi à arracher de ses gonds une des portes de la grand-chambre. Dans cette entreprise la lame s’était à la fin brisée. Patience, il n’avait plus à se battre contre des êtres humains, mais contre la mer.
    Mais s’il s’était laissé glisser sur la mer accroché à la porte, où l’aurait mené le courant ? Il traîna la porte vers la muraille, à gauche, et parvint à la jeter à la mer.
    La porte avait flotté nonchalamment, mais moins d’une minute après, elle était déjà loin du navire et transportée d’abord vers le côté gauche, plus ou moins dans la direction qu’il avait prise lui-même, puis vers le nord-est. Au fur et à mesure qu’elle voguait au-delà de la proue, sa vitesse avait augmenté, jusqu’à ce qu’elle eût pris à un moment donné – à la hauteur du cap septentrional – une erre accélérée vers le nord.
    Maintenant elle filait comme aurait fait la Daphne s’il avait tiré l’ancre. Roberto réussit à la suivre à l’œil nu tant qu’elle n’eut pas dépassé le cap, ensuite il dut prendre la lunette d’approche, et il la vit encore glisser à vive allure delà le promontoire durant un long moment. La planche s’enfuyait donc, rapide, dans le lit d’un large fleuve qui avait ses levées et ses rives au milieu d’une mer calme de part et d’autre.
    Il estima que, si le cent quatre-vingtième méridien s’étendait le long d’une ligne idéale qui, au mitan de la baie, réunissait les deux promontoires, et si ce fleuve inclinait son cours juste après la baie, s’orientant vers le nord, alors delà le promontoire il coulait exactement le long du méridien antipode !
    S’il avait été sur la planche, il eût navigué au fil de cette ligne qui séparait l’aujourd’hui de l’hier – ou l’hier de son demain…
    Pourtant à ce moment-là ses pensées furent différentes. S’il avait été sur la planche, il n’aurait pas eu moyen de s’opposer au courant, si ce n’est avec quelques mouvements des mains. Diriger son propre corps nécessitait déjà un grand effort, alors imaginons une porte sans proue, sans poupe et sans gouvernail.
    La nuit de son arrivée la planche l’avait porté sous le mât de beaupré par le seul effet d’un petit vent ou d’un courant secondaire. Afin de prévoir un nouvel événement de ce genre, il aurait dû étudier attentivement les mouvements des marées, pendant des semaines et des semaines, sans doute des mois durant, en jetant à

Weitere Kostenlose Bücher