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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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chantait pas mais était composée et d’une figure muette et d’un mot qui parlait pour elle à la vue ; précieuse seulement en tant qu’imperceptible, sa splendeur se cachait dans les perles et dans les diamants qu’elle ne montrait que grain après grain. Elle disait davantage en faisant moins de bruit, et là où le Poème Épique exigeait fables et épisodes, l’Histoire délibérations et harangues, il suffisait de deux traits et d’une syllabe aux Devises : leurs parfums se distillaient seulement en gouttes impalpables, et seulement alors on pouvait voir les objets sous un habit surprenant, comme il arrive avec les Horsains et les Masques. Elle celait plus qu’elle ne découvrait. Elle ne chargeait pas l’esprit de matière mais le nourrissait d’essences. Elle devait être (d’un terme qu’alors on utilisait d’abondance et que nous avons déjà utilisé) pèlerine, mais pèlerin veut dire étranger et étranger voulait dire étrange.

    Quoi de plus horsain qu’une Colombe Couleur Orange ? Mieux, quoi de plus pèlerin qu’une colombe ? Eh, la colombe était une image riche de sens, d’autant plus subtils que chacun se trouvait en conflit avec les autres.
    Les premiers à parler de la colombe avaient été, comme il est naturel, les Egyptiens, dès les très anciens Hieroglyphica de Horapollon , et, parmi d’autres multiples choses, cet animal était considéré le très pur d’entre tous, tant et si bien que s’il y avait une épidémie de peste qui infectât hommes et objets, ceux qui mangeaient seulement des colombes étaient immunisés. Ce qui devrait apparaître évident, vu que cet animal est l’unique auquel il manque le fiel (c’est-à-dire le poison que les autres animaux ont accroché au foie), et Pline disait déjà que si une colombe tombe malade, elle cueille une feuille de laurier et en guérit. Et si l’arbre est le laurier, et le laurier est Daphné, nous nous sommes compris.
    Mais, tout purs qu’ils soient, les colombeaux sont aussi un symbole malicieux parce qu’ils se consument dans une grande luxure : ils passent la journée à s’embrasser (redoublant les baisers pour se faire taire tour à tour) et en croisant leurs langues, d’où de nombreuses expressions lubriquettes tels jouer de la colombe aux lèvres et baisers colombins, pour le dire comme les casuistes. Et s’encolomber disaient les poètes pour faire l’amour comme les colombes, et autant qu’elles. Et n’oublions pas que Roberto aurait dû connaître ces vers qui disaient :
    « Quand sur la couche, où les primes ardeurs,
épanchèrent desja chauds et vifs désirs
s’encolombant les deulx lascifs coërs
entre eulx de baisers en baisers se cueillirent. »
     
    On remarquera que – quand tous les autres animaux ont une saison pour les amours – il n’est moment de l’année où le colombeau ne monte la colombelle.
    Histoire de commencer, les colombes viennent de Chypre, île sacrée à Vénus. Apulée, mais aussi d’autres avant lui, racontait que le char de Vénus est tiré par quatre colombes immaculées, appelées précisément oiseaux de Vénus pour leur lasciveté immodérée. D’autres rappellent que les Grecs nommaient la colombe peristera car en colombe fut changée, par Eros jaloux, la nymphe Peristera – tant aimée de Vénus – qui l’avait aidée à le battre dans une compétition entre qui cueillerait le plus de fleurs. Mais que veut dire : Vénus « aimait » Peristera ?
    Elien dit que les colombes furent consacrées à Vénus parce que sur le mont Erice, en Sicile, on célébrait une fête quand la déesse passait au-dessus de la Libye ; ce jour-là, dans toute la Sicile on ne voyait plus de colombes car toutes avaient traversé la mer pour aller faire cortège à la déesse. Mais neuf jours après, des côtes de la Libye arrivait en Trinacrie une colombe rouge comme le feu, ainsi que le dit Anacréon (je vous prie de bien noter cette couleur) ; c’était Vénus même, qui justement s’appelle Purpurine, et derrière elle venait la multitude des autres colombes. Elien encore nous raconte l’histoire d’une jeune fille dite Phytia que Jupiter a aimée et changée en colombe.
    Les Assyriens représentaient Sémiramis sous la forme d’une colombe, et Sémiramis fut élevée par les colombes, et puis changée en colombe. Nous savons tous que c’était une femme de mœurs non irréprochables, mais si belle que Scaurobate roi des Indiens s’était épris

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