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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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il est difficile d’arriver là-bas qui est si tost » ; ou bien « combien de mer me sépare du jour à peine escoulé » ; et même « des nuées menaçantes proviennent de l’Île, tandis qu’il fait desja serein ici… »
    Mais si l’île s’éloignait de plus en plus, valait-il encore la peine d’apprendre à la rejoindre ? Roberto, au cours des jours suivants, abandonne les essais de natation pour se remettre à chercher la Colombe Couleur Orange avec la lunette d’approche.
    Il voit des perroquets entre les feuilles, il repère des fruits, il suit de l’aube au couchant les couleurs diverses de la verdure se rallumer et s’éteindre, mais ne voit pas la Colombe. Il se reprend à penser que le père Caspar lui a menti, ou qu’il a été victime d’une de ses facéties. Par moments il se convainc que le père Caspar non plus n’a jamais existé – et il ne trouve plus trace de sa présence sur le navire. Il ne croit plus à la Colombe, mais il ne croit pas non plus, désormais, que sur l’Île il y ait l’Observatoire. Il en tire occasion de consolation dans la mesure où, se dit-il, il eût été irrévérencieux de corrompre avec une machine la pureté de ce lieu. Et il se remet à songer à une Île faite à sa mesure, ou bien à la mesure de ses rêves.

    Si l’Île s’élevait dans le passé, elle était le lieu qu’il devait à tout prix atteindre. En ce temps hors des gonds, il devait non pas trouver mais bien inventer de nouveau la condition du premier homme. Non point séjour d’une source de l’éternelle jeunesse, mais source elle-même, l’Île pouvait être le lieu où chaque créature humaine, oublieuse de son propre savoir étiolé, trouverait, tel un enfant abandonné dans la forêt, une langue neuve capable de naître d’un contact neuf avec les choses. Et avec lui naîtrait l’unique vraie et nouvelle science, de l’expérience directe de la nature, sans qu’aucune philosophie l’adultérât (comme si l’Île n’était pas le père, qui transmet au fils les mots de la loi, mais la mère, qui lui apprend à balbutier les premiers noms).
    Ainsi seulement un naufragé rené pourrait découvrir les principes qui gouvernent la course des corps célestes et le sens des acrostiches qu’ils dessinent dans le ciel, sans chercher des poux entre Almagestes et Quadripartites, mais en lisant directement la survenue des éclipses, le passage des bolides à la chevelure d’argent et les phases des astres. Seulement par son nez qui saigne à la suite de la chute d’un fruit, il comprendrait d’un coup aussi bien les lois qui soumettent les corps à la pesanteur, que de motu cordis et sanguinis in animalibus . Seulement en observant la surface d’un étang et en y enfilant un rameau, un roseau, une de ces longues et roides feuilles de métal, le nouveau Narcisse – sans aucune rêverie dioptrique et sciathérique – saisirait la joute alternée de la lumière et de l’ombre. Et peut-être aurait-il pu comprendre pourquoi la terre est un miroir opaque qui badigeonne d’encre ce qu’elle reflète, l’eau une paroi qui rend diaphanes les ombres s’y imprimant, tandis que dans l’air les images ne trouvent jamais une surface sur quoi rejaillir, et elles le pénètrent en fuyant jusqu’aux extrêmes confins de l’éther, sauf à revenir parfois sous la forme de mirages et autres prodiges.
    Mais posséder l’Île n’était-ce pas posséder Lilia ? Et alors ? La logique de Roberto n’était pas celle de ces philosophes bancroches et patatoches, intrus dans les couloirs du Lycée, qui veulent toujours qu’une chose, si elle est de telle façon, ne puisse être aussi de la façon opposée. Par une erreur, une errance, veux-je dire, de l’imagination propre aux amants, il savait déjà que la possession de Lilia serait, au même moment, la source de toute révélation. Découvrir les lois de l’univers à travers une lunette d’approche lui semblait seulement la manière la plus longue de parvenir à une vérité qui lui serait révélée dans la lumière assourdissante du plaisir s’il avait pu abandonner sa tête au giron de l’aimée, dans un Jardin où chaque arbuste serait arbre du Bien.
    Mais puisque – comme nous devrions le savoir nous aussi - désirer quelque chose qui est loin évoque le lémure de quelqu’un qui nous le dérobe, Roberto se prit à craindre que dans les délices de cet Eden se fût glissé un Serpent. Le saisit alors l’idée que

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