L'Ile du jour d'avant
sur l’Île, usurpateur plus véloce, l’attendait Ferrante.
28.
De l’Origine des Romans
Les amants aiment davantage leur mal que leur bien. Roberto ne pouvait se penser, que séparé à jamais de celle qu’il aimait ; pourtant, plus il se sentait désuni d’elle, plus il se trouvait la proie du tourment que quelqu’un d’autre ne l’était pas.
Nous avons vu que, accusé par Mazarin d’avoir été dans un lieu où il n’avait pas été, Roberto s’était mis dans la tête que Ferrante se trouvait à Paris et avait pris sa place en certaines occasions. Si cela était vrai, Roberto avait été arrêté par le cardinal, et envoyé à bord de l’Amaryllis , mais Ferrante était resté à Paris, et pour tous (Elle comprise !) il était Roberto. Il ne restait donc plus qu’à La penser aux côtés de Ferrante, et voilà que ce purgatoire marin se changeait en un enfer.
Roberto savait que la jalousie se forme sans nul respect pour ce qui est, ou qui n’est pas, ou qui peut-être ne sera jamais ; que c’est un transport qui d’un mal imaginé tire une douleur réelle ; que le jaloux est comme un hypocondriaque qui devient malade par peur de l’être. Donc gare, se disait-il, à se laisser prendre par ces sornettes chagrines qui vous obligent à vous représenter l’Autre avec un Autre, et rien comme la solitude ne sollicite le doute, rien comme l’imagination errante ne change le doute en certitude. Pourtant, ajouta-t-il, ne pouvant éviter d’aimer je ne peux éviter de devenir jaloux et ne pouvant éviter la jalousie je ne peux éviter d’imaginer.
De fait la jalousie est, d’entre toutes les craintes, la plus ingrate : si vous craignez la mort, vous tirez soulagement à pouvoir penser que, au contraire, vous jouirez d’une longue vie ou qu’au cours d’un voyage vous trouverez la fontaine de l’éternelle jouvence ; et si vous êtes pauvre, vous tirerez consolation à la pensée de découvrir un trésor ; pour chaque chose dont on a peur, il y a une espérance opposée qui nous éperonne. Il n’en va pas ainsi quand on aime en l’absence de l’aimée : l’absence est à l’amour ce que le vent est au feu : il éteint le petit, il fait s’enflammer le grand.
Si la jalousie naît de l’amour intense, celui qui n’éprouve pas de jalousie pour son aimée n’est pas amant, ou aime à cœur léger, tant et si bien que l’on connaît des amants qui, par peur que leur amour ne s’apaise, l’alimentent en trouvant à tout prix des motifs de jalousie.
Le jaloux donc (qui pourtant veut ou voudrait son aimée chaste et fidèle) ne veut ni ne peut la penser autrement que digne de jalousie, et par conséquent coupable de trahison, attisant ainsi dans la souffrance présente le plaisir de l’amour absent. D’autant que penser à toi qui possèdes l’aimée lointaine – sachant bien que ce n’est pas vrai – ne peut te rendre aussi vive la pensée d’elle, de sa chaleur, de ses rougeurs, de son parfum, comme de songer que de ces mêmes dons un Autre en revanche est en train de jouir : tandis que de ton absence tu es certain, de la présence de cet ennemi tu es, sinon certain, du moins pas nécessairement incertain. Le contact amoureux, que le jaloux imagine, est l’unique façon dont il puisse se représenter avec vraisemblance l’union d’autrui qui, si elle n’est pas incontestable, est au moins possible alors qu’elle est impossible pour lui.
Raison pour quoi le jaloux n’est pas capable, ni n’a la volonté, de s’imaginer le contraire de ce qu’il craint, il ne peut même jouir qu’en magnifiant sa douleur, et souffrir du jouissement magnifié dont il se sait exclu. Les plaisirs d’amour sont des maux qui se font désirer, où coïncident douceur et martyre, et l’amour est démence volontaire, paradis infernal et enfer céleste en somme, concorde de contraires convoités, ris dolent et friable diamant.
Ainsi souffrant, mais se rappelant cette infinité de mondes sur quoi il avait disserté les jours précédents, Roberto eut une idée, mieux, une Idée, un grand et anamorphique trait de Génie.
Or donc il pensa qu’il aurait pu construire une histoire dont lui n’était certainement pas protagoniste, vu qu’elle ne se déroulait pas en ce monde mais dans un Pays des Romans, et ces vicissitudes se seraient passées en parallèle avec celles du monde où lui se trouvait, sans que les deux séries d’aventures pussent jamais se croiser ou se
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