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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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« Monsieur, vous êtes libre. »
    Il avait sorti un message de son pourpoint, avec un sceau que Ferrante reconnut aussitôt, et le lui avait tendu.
    C’était elle, qui lui conseillait de disposer de cette armée horrible mais de confiance, et de l’attendre ici, où elle arriverait vers l’aube.
    Ferrante, après avoir été libéré de son masque, en premier lieu avait libéré les pirates, et souscrit un pacte avec eux. Il s’agissait de reprendre le navire et faire voile sous ses ordres sans poser de questions. Récompense, partie d’un trésor aussi vaste que le chaudron des frères hospitaliers de l’Altopascio. Comme à l’accoutumée, Ferrante ne pensait pas le moins du monde à tenir sa parole. Une fois Roberto retrouvé, il lui suffirait de dénoncer son équipage au premier port de relâche, et il les verrait tous pendus haut et court, restant le maître du navire.
    Des gueux, il n’avait plus besoin, et leur chef, en homme loyal, lui dit qu’ils avaient déjà reçu leur salaire pour cette entreprise. Il voulait quitter cet endroit au plus vite. Ils se dispersèrent dans l’arrière-pays et retournèrent à Paris en mendiant de village en village.
    Il fut facile de monter sur une barque gardée dans le bassin du fort, arriver au vaisseau et jeter à la mer les deux seuls hommes qui se trouvaient de faction. Biscarat fut enchaîné à fond de cale, puisque c’était un otage dont on pourrait faire commerce. Ferrante s’accorda un court repos, revint au rivage avant l’aube, à temps pour accueillir un carrosse d’où était descendue Lilia, plus belle que jamais dans sa coiffure virile.
    Roberto jugea que le plus grand supplice lui viendrait à la pensée qu’ils s’étaient salués en restant sur leur quant-à-soi, sans se trahir devant les pirates qui devaient croire embarquer un jeune gentilhomme.
    Ils étaient montés sur le navire, Ferrante avait vérifié que tout se trouvait prêt pour appareiller et, comme on levait l’ancre, il était descendu dans la chambre qu’il avait fait préparer pour l’hôte.
    Là elle l’attendait, les yeux qui ne demandaient rien d’autre que d’être aimés, dans l’exultation fluante de ses cheveux maintenant libres sur ses épaules, prête au plus réjouissant des sacrifices. O chevelures errantes, chevelures dorées et adorées, chevelures bouclées qui voletez et badinez et badinant errez, soupirait follement Roberto pour Ferrante…
    Leurs visages s’étaient rapprochés pour cueillir une moisson de baisers d’une ancienne semence de soupirs, et en cet instant Roberto puisa en pensée à cette lèvre de rose carnée. Ferrante embrassait Lilia, et Roberto se figurait dans l’acte et le frisson de mordre ce véritable corail. Mais là, il sentait qu’elle lui échappait tel un souffle de vent, il en perdait la douce chaleur qu’il avait cru sentir quelques secondes, et il la voyait glacée dans un miroir, dans d’autres bras, sur une couche lointaine, dans un autre navire.
    Pour défendre les amants, il avait fait descendre une fine couverture d’avare transparence, et ces corps maintenant dévoilés étaient des livres de solaire nécromancie, dont les accents sacrés se révélaient à deux seuls élus qui s’abécédaient tour à tour bouche à bouche.
    Le vaisseau s’éloignait, véloce, Ferrante l’emportait. Elle aimait en lui Roberto dans le cœur de qui ces images s’abattaient comme un brandon sur une brassée de ronces.

34.
    Monologue sur la Pluralité des Mondes
    Nous nous souviendrons – je l’espère, parce que des romanciers de notre siècle Roberto avait pris l’habitude de raconter tant d’histoires à la fois qu’à un moment donné il est difficile d’en reprendre le fil – que notre héros avait rapporté de sa première visite au monde des coraux le « sosie de pierre », qui lui avait semblé un crâne, peut-être celui du père Caspar.
    Or donc, pour oublier les amours de Lilia et de Ferrante, il restait assis sur le tillac au déclin du soleil, à contempler cet objet et à en étudier la texture.
    Cela n’avait pas l’air d’un crâne. C’était plutôt une ruche minérale composée de polygones irréguliers, mais les polygones n’étaient pas les unités élémentaires de ce tissu : chaque polygone offrait en son centre une symétrie rayonnée de fils très fins au milieu desquels apparaissaient – en fronçant les sourcils – des intervalles qui peut-être formaient d’autres polygones

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