L'Ile du jour d'avant
l’attente de bouleversements imprévus de son architecture.
Les choses vivent-elles et pensent-elles ? Le Prévôt lui avait dit un jour que, pour justifier la vie et son développement, il faut qu’en toute chose il entre nécessairement des fleurs de la matière, des sporâ , des semences. Les molécules sont des dispositions d’atomes déterminés en une figure déterminée, et si Dieu a imposé des lois au chaos des atomes, leurs composés ne peuvent être portés qu’à engendrer des composés analogues. Se peut-il que les pierres que nous connaissons soient encore celles qui ont survécu au Déluge, qu’elles non plus ne soient pas devenues et que d’elles il n’en ait pas été engendré d’autres ?
Si l’univers n’est autre chose qu’un ensemble d’atomes simples qui entrent en collision pour engendrer leurs composés, il ne se peut que – une fois qu’ils se sont composés en leurs composés – les atomes cessent de se mouvoir. En tout objet doit se maintenir un propre mouvement continu : tourbillonnaire dans les vents, fluide et réglé dans les corps animaux, lent mais inexorable dans les végétaux, et assurément plus lent, mais non absent, dans les minéraux. Ce corail aussi, mort pour la vie corallienne, jouissait d’un remuement souterrain à lui, spécifique d’une pierre.
Roberto réfléchissait. Admettons que tout corps soit composé d’atomes, fut-ce les corps purement et simplement étendus dont nous parlent les Géomètres, et que ces atomes soient indivisibles. Il est certain que toute droite peut être divisée en deux parties égales, quelle que soit sa longueur. Mais si sa longueur est insignifiante, il est possible que l’on doive diviser en deux parties une droite composée d’un nombre impair d’indivisibles. Cela signifierait, si l’on ne veut pas que les deux parties soient inégales, que l’on a divisé en deux l’indivisible médian. Mais celui-ci, étant à son tour étendu, et donc à son tour une droite, fût-elle d’une imperscrutable brièveté, devrait être à son tour divisible en deux parties égales. Et ainsi à l’infini.
Le Prévôt disait que l’atome est pourtant toujours composé de parties, sauf qu’il est si dense que nous ne pourrions jamais le diviser au-delà de sa limite. Nous. Mais d’autres ?
Il n’existe pas de corps solide aussi dense que l’or, et pourtant prenons une once de ce métal, et de cette once un batteur d’or tirera mille feuilles, et la moitié de ces feuilles suffira à dorer la superficie entière d’un lingot d’argent. Et de la même once d’or ceux qui préparent les fils d’or et d’argent pour la passementerie réussiront avec leurs filières à le réduire à l’épaisseur d’un cheveu et ce minuscule fil sera long d’un quart de lieue, peut-être davantage. L’artisan s’arrête à un certain point, pour ce qu’il ne possède pas les instruments appropriés et que son œil ne parviendrait plus à distinguer le fil qu’il obtiendrait. Mais des insectes – si infimes que nous ne les pouvons voir, assez industrieux et savants pour passer en habileté tous les artisans de notre espèce – sauraient allonger encore ce fil de sorte qu’il pût être tendu de Turin à Paris. Et quand existeraient les insectes de ces insectes, à quelle finesse ne porteraient-ils pas ce même fil ?
Si, avec l’œil d’Argos, je pouvais pénétrer dans les polygones de ce corail et à l’intérieur des filaments qui y rayonnent et à l’intérieur du filament qui constitue le filament, je pourrais aller chercher l’atome jusqu’à l’infini. Mais un atome qui fût sécable à l’infini, produisant des parties de plus en plus petites et toujours encore sécables, pourrait me porter jusqu’à un moment où la matière ne serait rien autre qu’infinie sécabilité, et toute sa dureté et sa densité reposeraient sur ce simple équilibre entre vides. Au lieu d’avoir en horreur le vacuum, la matière alors l’adorerait et en serait composée, elle serait vide en elle-même, vacuité absolue. La vacuité absolue serait au cœur même du point géométrique impensable, et ce point ne serait rien autre que cette île d’Utopie que nous rêvons dans un océan fait toujours et seulement d’eaux.
En supposant par hypothèse une extension matérielle faite d’atomes, on arriverait donc à n’avoir plus d’atomes. Que resterait-il ? Des tourbillons. Sauf que les tourbillons n’entraîneraient pas
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