L'Ile du jour d'avant
plus de la peste, il y avait la famine, et même quelque chose de pire, une chasse acharnée aux vivres que les Casalois cachaient encore et ne voulaient pas donner aux alliés. Roberto dit que s’il ne pouvait mourir de peste, il voulait mourir de faim.
Enfin le père Emanuele eut raison de lui, et il le poussa dehors. Alors qu’il tournait l’angle, il tomba sur un groupe d’officiers espagnols. Il allait détaler ; ceux-ci le saluèrent cérémonieusement. Il comprit que, différents bastions ayant sauté, les ennemis avaient pris position maintenant en différents points du centre habité, ce pour quoi on pouvait dire que ce n’était pas la campagne qui assiégeait Casal, mais Casal qui assiégeait son château.
Au bout de la rue il rencontra Saint-Savin : « Cher la Grive, dit-il, vous êtes tombé malade Français et vous avez guéri Espagnol. Cette partie de la ville est à présent aux mains des ennemis.
— Et nous pouvons passer ?
— Vous ne savez pas qu’a été signée une trêve ? Et puis les Espagnols veulent le château, pas nous. Dans la partie française le vin se fait rare et les Casalois le sortent de leurs caves comme s’il s’agissait du sang de Notre Seigneur. Vous ne pourrez interdire aux bons Français de fréquenter certaines tavernes de ce côté-ci, où maintenant les cabaretiers importent de l’excellent vin de la campagne environnante. Et les Espagnols nous accueillent en grands seigneurs. Sauf qu’il faut respecter les convenances : si l’on veut se prendre de querelle, il faut le faire chez nous avec des compatriotes, car ici l’on doit se conduire avec courtoisie, comme il est accoutumé entre ennemis. Ainsi j’avoue que la partie espagnole est moins amusante que la française, du moins pour nous. Mais unissez-vous à nous. Ce soir nous voudrions chanter la sérénade à une dame qui nous avait celé ses charmes jusqu’à l’autre jour, quand je l’ai vue se pencher un instant à sa croisée.
C’est ainsi que ce soir-là Roberto retrouva cinq têtes connues de la cour de Toyras. Il ne manquait pas même l’abbé, qui, pour l’occasion, s’était paré de guipures et dentelles, et d’une bandoulière de satin. « Que le Seigneur nous pardonne, disait-il avec une insouciante hypocrisie, mais il faut bien rasséréner l’esprit si nous voulons encore accomplir notre devoir… »
La maison donnait sur une place, dans la partie espagnole, mais les Espagnols à cette heure-là devaient tous se trouver dans les gargotes. Sur le rectangle de ciel dessiné par les toits bas et le feuillage des arbres qui bordaient la place, la lune dominait, sereine, à peine grêlée, et se mirait dans l’eau d’une fontaine murmurant au centre de ce carré méditatif.
— O très douce Diane, avait dit Saint-Savin, comme tes villes et tes villages doivent être calmes et apaisés, qui ne connaissent la guerre, car les Séléniens vivent d’un bonheur à eux naturel, ignorants du péché…
— Ne blasphémez pas, monsieur de Saint-Savin, lui avait dit l’abbé, car même si la lune était habitée, comme a extravagué dans son récent roman le sieur de Moulinet, et comme les Écritures ne nous l’enseignent pas, fort malheureux seraient ses habitants, qui n’ont pas connu l’incarnation.
— Et fort cruel eût été notre Seigneur Dieu de les priver d’une pareille révélation, avait répliqué Saint-Savin.
— Ne cherchez pas à pénétrer les mystères divins. Dieu n’a pas permis la prédication de son Fils, pas même aux indigènes des Amériques, mais dans sa bonté Il leur envoie les missionnaires leur apporter la lumière.
— Et alors pourquoi notre seigneur pape n’envoie-t-il pas des missionnaires sur la lune aussi ? Les Séléniens ne sont peut-être pas des fils de Dieu ?
— Ne dites pas de sottises !
— Je ne relèverai pas que vous m’avez donné du sot, monsieur l’abbé, mais sachez que sous cette sottise se cache un mystère, que certainement notre seigneur pape ne veut pas dévoiler. Si les missionnaires découvraient des habitants sur la lune, et les voyaient qui regardent d’autres mondes à la portée de leur œil et non du nôtre, ils les verraient se demander si sur ces mondes aussi ne vivent pas d’autres êtres semblables à nous. Et ils devraient se demander encore si les étoiles fixes aussi ne sont pas autant de soleils entourés de leurs lunes et de leurs autres planètes, et si les habitants de ces
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