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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Umberto Eco
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planètes ne voient pas eux aussi d’autres étoiles à nous inconnues, qui seraient autant de soleils avec autant de planètes, et ainsi de suite à l’infini…
    — Dieu nous a faits incapables de penser l’infini, et donc sois contente humaine gent, à quia.
    — La sérénade, la sérénade, murmuraient les autres. Voici la fenêtre.
    Et la croisée apparaissait teintée d’une lumière rosée qui provenait de l’intérieur d’une rêvable alcôve. Mais les deux jouteurs s’étaient désormais excités.
    — Et ajoutez, insistait, railleur, Saint-Savin, que si le monde était fini et entouré du Néant, Dieu serait lui aussi fini : sa tâche étant, comme vous dites, de se trouver au ciel et sur la terre et en tout lieu, il ne pourrait se trouver où il n’y a rien. Le Néant est un non-lieu. Ou bien, pour agrandir le monde il devrait s’agrandir soi-même, naissant pour la première fois là où d’abord il n’était pas, ce qui contredit sa prétendue éternité.
    — Il suffit, monsieur ! Vous êtes en train de nier l’éternité de l’Éternel, et cela je ne vous le consens. Le moment est venu que je vous tue, afin que votre supposé esprit fort ne puisse plus nous amollir ! Et il tira son épée.
    — Puisque vous le voulez, dit Saint-Savin saluant et se mettant en garde. Mais moi je ne vous tuerai pas : je ne veux pas soustraire des soldats à mon roi. Simplement je vous défigurerai pour que vous deviez survivre en portant un masque, comme le font les comédiens italiens, dignité qui vous sied. Je vous ferai une cicatrice depuis l’œil jusques à la lèvre, et je ne vous infligerai ce beau coup de châtreporcelet que je ne vous aie donné, entre une botte et l’autre, une leçon de philosophie naturelle.
    L’abbé avait porté l’assaut, essayant aussitôt d’estramaçonner, lui criant qu’il était un insecte venimeux, un ciron, un pou à écraser sans pitié. Saint-Savin avait paré, l’avait pressé à son tour, poussé contre un arbre, mais en philosophant à chaque engagement.
    — Ah, coups de manchette et parades d’estramaçon sont bottes vulgaires de ceux qui sont aveuglés par la colère ! Vous manquez d’une Idée de L’Escrime. Mais vous manquez aussi de charité, pour dépriser ainsi cirons et poux. Vous êtes un animal trop petit pour pouvoir vous représenter le monde comme un grand animal, tel que nous le montrait déjà le divin Platon. Essayez de penser que les Étoiles sont des mondes avec d’autres animaux mineurs, et que ces animaux mineurs servent réciproquement de mondes à d’autres peuples – et alors vous ne trouverez pas contradictoire de penser que nous aussi, et les chevaux et les éléphants, nous sommes des mondes pour les poux et les cirons qui nous habitent. Ils ne nous perçoivent point, pour notre grandeur, tout comme nous ne percevons pas des mondes plus grands, pour notre petitesse. Peut-être y a-t-il maintenant un peuple de poux qui prend votre corps pour un monde, et que quand quelqu’un d’eux a voyagé depuis votre front jusques à votre nuque, ses compagnons disent de lui qu’il a osé courir aux confins de la terra cognita . Ce petit peuple prend votre poil pour les forêts de son pays, et quand je vous aurai touché il verra vos blessures comme lacs et mers. Lorsque vous vous peignez, ils prennent cette agitation pour le flux et le reflux de l’océan, et tant pis pour eux que leur monde soit si changeant, par votre propension à vous peigner à chaque instant comme une femme, et à présent que je vous coupe cette bouffette ils vont prendre votre cri de rage pour un ouragan, là !
    Et il lui avait décousu un ornement, à lui déchirer presque son pourpoint brodé.
    L’abbé écumait de rage, il s’était porté au centre de la place, surveillant ses arrières afin de s’assurer d’un espace pour les feintes auxquelles il s’essayait à présent, puis reculant pour se trouver le dos à la fontaine.
    Saint-Savin paraissait danser autour de lui, sans attaquer :
    — Levez le chef, monsieur l’abbé, regardez la lune, et réfléchissez que si votre Dieu avait su faire l’âme immortelle, il aurait bien pu faire le monde infini. Mais si le monde est infini, il le sera autant dans l’espace que dans le temps, et donc il sera éternel, et s’il y a un monde éternel, qui n’a pas besoin de création, alors il sera inutile de concevoir l’idée de Dieu. Oh le beau tour, monsieur l’abbé, si Dieu est infini

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