L'Impératrice indomptée
elle présenta les cheveux morts à sa maîtresse, dont les regards croisèrent alors les siens, exprimant chez la maîtresse un amer reproche, chez la servante la faute et le repentir. Ensuite, le blanc manteau de dentelles glissa et l’impératrice, pareille à une statue divine, surgit de l’enveloppe qui la cachait. Alors, la souveraine inclina la tête, la servante s’abîma sur le sol, en murmurant tout bas : “Aux pieds de Votre Majesté, je me prosterne.” Le service sacré était accompli. »
Comme Élisabeth s’attriste de la chute du moindre cheveu, la coiffeuse imagine de faire disparaître, au moyen d’un ruban adhésif dissimulé sous son tablier, ceux qui s’accrochent au peigne pour présenter ensuite à l’impératrice un instrument vierge et s’épargner un regard critique. Quant à laver cette chevelure, c’est toute une affaire à laquelle il faut presque consacrer une journée ! Dans Secrets d’une Maison royale , la comtesse Larisch de Wallersee écrit : « Tante Sissi avait les plus beaux cheveux que j’eusse jamais vus. Une chevelure luxuriante avait toujours été la caractéristique de notre famille, mais personne ne pouvait se targuer d’avoir des cheveux comme ceux de tante Sissi. Ils étaient de couleur noisette, avec des reflets roux. L’impératrice en était très fière et leur consacrait les soins les plus attentifs. Une certaine Mme de Feyfalik mania la brosse et le peigne impériaux pendant des dizaines d’années ; ce fut elle qui enseigna à ma femme de chambre comment il fallait me coiffer 1 . »
L’élaboration de sa coiffure impose à Élisabeth plus de deux heures d’immobilité chaque jour ; mais elle ne demeure pas inactive. C’est un des moments qu’elle consacre à la lecture. « Pendant que mes cheveux sont si fortement occupés, dit-elle un jour à son lecteur, Christomanos, mon esprit reste oisif... Nous emploierons ce temps à traduire Shakespeare ; alors, le cerveau est bien forcé de se concentrer. » L’empereur vient souvent la retrouver pendant cette longue pause : il aime la contempler ainsi, la chevelure dénouée, telle qu’elle lui est apparue pour la première fois. Un portrait, datant du début de leur mariage, la représente dans tout l’éclat de ses dix-huit ans, avec ses beaux cheveux épars. Une photographie de ce tableau demeure en permanence sur son bureau. L’archiduc Rodolphe est, lui aussi, en admiration devant la chevelure de sa mère. Enfant, il s’amusait à se cacher sous ses ondes parfumées, à y poser ses petits pieds, au milieu de rires joyeux.
L’âme tourmentée d’Élisabeth, son tempérament nerveux l’attirent vers la mer. « La mer me rend ma jeunesse, elle me débarrasse de tout ce qui m’est étranger. Tout ce que j’ai appris, c’est elle qui me l’a enseigné. » Elle ignore la peur sur l’eau. Au cours de ses navigations, pendant que ses compagnons souffrent du mal de mer, elle demeure tranquillement assise dans son fauteuil. Son yacht Miramar , avec lequel elle traverse la moitié du globe, est bizarrement installé : sur le pont, on a construit un grand pavillon de verre complètement rond, laissant la vue libre de tous côtés. Chaque matin, à l’heure où elle se fait coiffer, on en baisse les stores de soie bleue. L’opération terminée, elle se rend sur la passerelle, telle une mouette attendant de prendre son envol.
À mesure qu’elle mûrit, sa lutte pour conserver sa beauté devient fort éprouvante. Elle se pèse tous les jours, s’entraîne physiquement et se soumet à de longues randonnées à cheval. Elle utilise des produits de plus en plus raffinés et coûteux pour ses soins corporels auxquels elle consacre un temps croissant. L’entretien de sa peau est d’une extrême complication. Comme il n’existe alors aucune industrie cosmétique, les femmes ont recours à des onguents de leur fabrication, aux recettes plus ou moins secrètes. À force de se préoccuper de son apparence, Élisabeth finit par verser dans un véritable culte de sa beauté, que sa nièce Marie Larisch peignit méchamment, plus tard, comme « un amour passionné qui dominait tout le reste » : « Elle rendait un culte à sa beauté comme un païen à ses idoles, elle se mettait à genoux devant elle. Le spectacle de sa perfection physique lui procurait une jouissance esthétique, tout ce qui ternissait cette perfection lui paraissait grossier et répugnant [...]. Elle estimait
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