L'Impératrice indomptée
comme un devoir vital la nécessité de rester jeune, et toutes ses pensées convergeaient pour trouver les meilleurs moyens de conserver sa beauté. »
Face à la foule, Élisabeth est la moins craintive des impératrices bien qu’elle souffre de se sentir dévisagée. Elle est sauvage et défiante comme une biche. « N’importe qui peut faire ce qui lui plaît, moi seule je n’ai même pas le droit de me promener en paix », affirme-t-elle. Un jour qu’elle visite une exposition incognito et contemple un tableau, des badauds qui l’ont reconnue osent se glisser entre elle et l’oeuvre pour la dévisager au face-à-main ou, d’un peu plus loin, avec des jumelles. Élisabeth rougit alors profondément et quitte définitivement la salle sans mot dire. Aux courses, qu’elle apprécie tant parce que tout ce qui touche les chevaux la passionne, elle est chaque fois exaspérée. Un jour, elle se rend à la Freudenau 2 . Sur ses cheveux lustrés, elle a posé un toquet de dentelle garni de lilas mauve qui encadre délicieusement son visage fin et délicat. Une haie d’admirateurs lui fait cortège de la Burg au champ de courses. Sur tout le parcours, éclatent les acclamations. Elle ne cesse de remercier en inclinant la tête à droite et à gauche. Parvenant à l’étoile du Prater, à quatre kilomètres de la Freudenau, elle dit à la comtesse Festetics assise à côté d’elle dans la voiture : « Marie, je n’en puis plus, j’en ai déjà la nausée. »
On comprend que l’impératrice se montre réservée dans ses contacts avec autrui.
— Je suis prudente dans ce que je raconte des autres pour avoir trop souffert de ce qu’on disait de moi. Je ne crois plus guère que ce que j’entends par moi-même, dit-elle à la comtesse Festetics. Je ne voudrais faire de tort à personne, mais il est douloureux, Marie, quand on se sent la conscience en paix, d’être en butte à la méchanceté d’autrui, ainsi que je l’ai toujours été. J’ai acquis une prudente indifférence. Je me montre très circonspecte, je me retire de la société des hommes, cela ne peut que leur être agréable ; ils ne m’aiment pas et moi, je m’accommode de mon isolement.
— Je ne puis nier, réplique la comtesse, que tout n’est pas facile, mais Votre Majesté ne sait pas combien d’êtres lui sont dévoués et combien sont heureux de la voir.
— Certes, ils sont évidemment curieux. Dès qu’il y a un spectacle à voir, tout le monde accourt ; que ce soit un singe qui danse sur un orgue de Barbarie ou moi, c’est du pareil au même. Voici l’amour ! Je ne suis pas si prompte à croire au dévouement et je ne me monte pas l’imagination par vanité. Il vaut mieux laisser échapper une aubaine que d’être une dupe.
Élisabeth trouve dans ses chiens les meilleurs confidents. L’amour qu’elle leur porte est un héritage de sa mère. La « landgrave » écrit dans une de ses lettres, en parlant de la vieille duchesse : « Elle ne vit que pour ses chiens, elle en a toujours quelques-uns sur les genoux, à côté d’elle ou sous le bras, même à table et jusque dans les assiettes elle écrase des puces ! Toutefois, on change immédiatement les assiettes ! » ajoute-t-elle avec malice.
Quand Élisabeth voit un beau chien dans la rue, elle ose même accoster des étrangers. Un jour, à Schaffhousen, elle rencontre un homme avec un grand bouledogue ; celui-ci reconnaît immédiatement en elle l’impératrice et à sa grande surprise et grande joie, lui dit : « Isten aldja meg » (« Que Dieu vous bénisse ») ; là-dessus, elle engage la conversation avec ce passant. L’intérêt d’Élisabeth pour les chiens, et surtout pour les grands, est connu de tous. Elle ne partage pas l’avis de son époux qui trouve ces encombrantes bêtes « plus que fatigantes ». Élisabeth a fait nommer un valet qui s’en occupe et qui s’intitule fièrement « fonctionnaire préposé aux soins des chiens impériaux ». Toutefois, il ne figure dans les comptes qu’au titre de « domestique surnuméraire » et, dans le cercle des dames de la cour, on l’appelle simplement « le valet de chiens ». De tous côtés, on offre des animaux à Élisabeth, mais elle les trouve toujours trop petits. « Je crains presque, dit-elle une fois, qu’il n’existe pas d’aussi grand chien que celui que je voudrais. » Chevaux, chiens, chasse, forêts, mers et îles lointaines... Tout cet arsenal de
Weitere Kostenlose Bücher