L'Impératrice indomptée
dérivatifs lui sert à oublier sa condition.
L’amour du cheval, on l’a déjà vu, constitue une obsession chez elle. On raconte qu’au début de son mariage, François-Joseph lui confia le soin d’acheter un certain nombre d’oeuvres à une exposition de beaux-arts. Elle accepta la mission avec joie ; elle était alors heureuse lorsque se présentait une occasion de causer un plaisir, de rendre un service ! Mais quand ses acquisitions furent livrées à la Hofburg, elle s’aperçut qu’elle n’avait spontanément acheté que des tableaux et des sculptures représentant des chevaux. Elle fera peindre toutes les bêtes qu’elle montera : « C’étaient les merveilleux portraits d’animaux extraordinaires », dira Christomanos, son lecteur grec. Dans l’évocation de ses souvenirs, il lui prête ce propos saisissant : en lui montrant ces oeuvres, elle aurait dit : « Beaucoup de ces chevaux sont allés à la mort pour moi, ce que nul homme n’eût jamais fait ; on voudrait plutôt m’assassiner. »
Chevauchant du matin au soir, Élisabeth fait montre d’une audace effrayante, aucun obstacle ne l’arrête. Son premier écuyer, le comte Szechnys, racontera les perpétuels soucis que lui causaient ses imprudences. Un jour, visitant les écuries, elle aperçoit un superbe cheval qu’on vient d’y amener.
— Selle ce cheval ! dit-elle à un palefrenier.
— Mais, Majesté, il n’est pas dressé, balbutie l’homme.
— Selle ce cheval, répète la souveraine d’un ton qui n’admet pas de réplique.
Surprise, la bête se laisse monter sans trop de résistance, et l’impératrice la dirige à fond de train dans la direction du Prater. Tandis qu’un groom terrifié essaie de la suivre, on court prévenir le comte Szechnys. Ce dernier, affolé et s’attendant au pire, se fait en toute hâte conduire au Prater. Il lui semble entendre au loin de sinistres rumeurs. Élisabeth, pense-t-il, a été, sans nul doute, désarçonnée, jetée au sol, peut-être traînée par la bête révoltée... Or, contrairement à toute attente, voici que soudain se dresse devant lui le plus superbe groupe équestre qu’il puisse imaginer : un cheval indompté se cabrant sous le fardeau léger d’une amazone qui, sans se déstabiliser, lutte avec lui et le tient d’une main fine et nerveuse. Massée à distance, une foule frémissante, qui s’accroît de minute en minute, contemple l’écuyère intrépide. Il faut les respectueuses instances du comte Szechnys pour faire abandonner à sa souveraine le dressage d’animaux en public.
Le cheval est pour elle comme une seconde peau, le centre de sa solitude bien-aimée. Son poème, Clochettes , exprime parfaitement son bonheur d’amazone :
« Si le monde me devient trop amer,
Les hommes trop sinistres,
Je bondis sur mon cheval ailé,
Et me détache de la terre,
Je fuis les méchants bâtards
Et toutes les canailles.
Je les laisse japper avec rage
Et cracher vers moi leur venin ;
Je me balance là-haut dans le bleu,
C’est tout juste si je vois encore la terre,
Aucune flèche immonde ne m’atteindra
Ici l’air est trop pur... »
Quand elle n’est pas en selle, Élisabeth devient insaisissable. Marie Festetics, sa dame d’honneur, s’inquiète de la voir ne manifester aucune mesure, non seulement dans ses passions du moment, mais aussi dans ses sympathies et ses antipathies, dans la foi et la confiance qu’elle exprime, dans la méfiance et la crainte. Elle considère l’impératrice comme la plus belle créature qu’elle ait jamais vue, « pleine de dignité royale et cependant si gentille et si amicale, avec un regard si doux et une voix si charmante, l’air tantôt d’une jeune fille, tantôt d’une femme, et faisant penser à un lis plus qu’à rien d’autre ». Aussi, quand elle chante sans mesure les louanges d’Élisabeth au comte de Bellegarde, son cousin, celui-ci lui répond avec moquerie : comment peut-elle se laisser prendre au charme d’une femme qui, loin d’être la créature angélique qu’elle imagine, est un monstre d’égoïsme et traite l’empereur abominablement ?
Marie Festetics se penche inlassablement sur l’âme de sa maîtresse : « L’impératrice, dit-elle, est pour moi comme un livre qu’on n’a jamais fini et, plus on s’y plonge, plus on est séduit. » Mais l’admiration, l’affection et l’enthousiasme qu’elle lui voue n’aveuglent pas la subtilité et la
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