L'Impératrice indomptée
et de verdure, au bord du profond lac bleu, en face de la superbe chaîne de montagnes. C’est toujours avec émotion qu’elle retrouve son pays où, jadis, le jardin plein de fleurs, la vieille maison couverte de lierre et de vigne vierge développèrent son esprit rêveur et son amour de la nature. Ses soeurs l’accueillent : Marie, l’ex-reine des Deux-Siciles, puis la princesse Hélène de Tour et Taxis avec ses quatre enfants. Celle-ci, devenue très forte, néglige sa mise et ressemble à une caricature d’Élisabeth. Ses enfants sont charmants, mais ils craignent trop leur mère. La comtesse Trani, dite « Moineau », a une taille superbe quoique, moins jolie qu’Élisabeth, elle n’en paraisse qu’une pâle réplique. Charles-Théodore est le plus remarquable des fils, mais il n’est pas bien constitué. En revanche, le plus jeune, « Mapperl », est beau comme un dieu, mais pas très intelligent. Tous sont aussi sauvages qu’Élisabeth. C’est un trait de famille. Les frères et soeurs s’entendent parfaitement. La maison du duc Max est simple, sans faste, mais bien tenue ; la table y est bonne, l’atmosphère bienfaisante. L’ensemble a quelque chose de désuet, mais il ne saurait être question de misère, comme le laissent entendre les méchantes langues de Vienne.
La désapprobation de la cour est constante. La fidèle comtesse Festetics confie à son journal : « Elle ne sait pas suffisamment apprécier sa position d’impératrice ! Elle n’a pas saisi ce qu’il y a là de beau et de sublime, parce que personne ne le lui a montré ; elle n’en perçoit que les ombres les plus froides, elle n’en voit pas les lumières ; c’est pourquoi ses sentiments ne sont pas en accord avec les circonstances, ce qui lui interdit toute tranquillité, toute paix, toute harmonie ! »
La même note encore que l’impératrice s’éloigne souvent, dès qu’elle le peut, des individus que sa situation l’oblige à côtoyer. Elle recherche par-dessus tout la solitude ou, tout au plus, la compagnie d’une confidente sympathique.
— N’êtes-vous pas étonnée de me voir vivre comme un ermite ? lui demande un jour Élisabeth à brûle-pourpoint.
— Certes, Majesté, vous êtes encore trop jeune.
— C’est vrai, mais je n’ai pas d’autre ressource. Le grand monde m’a tellement persécutée et si mal jugée, j’ai été tellement blessée et calomniée. Pourtant, Dieu voit mon âme, je n’ai jamais fait de mal ! C’est pourquoi j’ai décidé de choisir une société qui me laisse tranquille, qui ne me dérange pas et qui m’apporte de l’agrément. Je me suis repliée sur moi-même et je me suis tournée vers la nature ; la forêt ne vous froisse pas. Certes, il est difficile dans la vie d’être seul, mais on finit par s’y habituer, et à présent cela m’est agréable. La nature est moins ingrate que les hommes.
Un peu plus tard, elle fait une promenade à l’Ermitage, un des sites les plus beaux et les plus romantiques des environs de Méran. Elle demande brusquement à sa dame de compagnie :
— Voudriez-vous être ermite ?
— Certes non.
— Pourtant la paix est si précieuse et ce n’est guère que loin du monde et des hommes qu’on peut la trouver. On en arrive évidemment à trop réfléchir.
Élisabeth évoque ses années de jeunesse mais elle reste spirituelle même dans sa mélancolie et, de temps à autre, elle coupe son récit d’une remarque étincelante de malice. Chez la plupart des êtres, c’est la bouche qui exprime le rire, tandis que chez elle, à tous égards si différente des créatures ordinaires, les yeux rient les premiers, la bouche ne s’entrouvre qu’après ; et de ce sourire émane un charme bienfaisant.
Si le caractère d’Élisabeth, dominé par des sympathies et des antipathies, ne connaît pas la mesure, il n’est, en revanche, jamais banal. Sa vie intérieure se révèle à tout instant. « Dommage, dit Marie Festetics, qu’elle n’ait rien à faire et qu’elle gâche tout son temps à rêvasser. Elle a une certaine tendance à la paresse intellectuelle, et, avec cela, un goût de l’indépendance toujours prêt à s’insurger. Dans les dîners intimes, entre amis, elle se montre charmante. Mais se trouve-t-il un visage qui lui déplaise, son attitude guindée crée une atmosphère de gêne. » Élisabeth se révèle obstinée et intraitable, sourde à toute espèce de conseil. C’est une
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