L'Impératrice indomptée
occupations essentiellement vaines et qui, bien que remarquablement intelligente, finissait par ne rien faire du tout ».
Quand l’amitié de l’impératrice pour une écuyère de cirque donne lieu à des ragots à la cour, Marie Festetics fait de son mieux pour expliquer à sa maîtresse que si elle veut avoir des amis en dehors de son milieu social, il vaudrait mieux prendre des artistes. Une occasion se présente cet hiver-là, lorsque Richard Wagner, Franz Liszt et le peintre Lenbach se trouvent en même temps à Vienne et qu’une amie de la comtesse, bien connue pour recevoir des musiciens, organise une soirée en leur honneur. Marie Festetics suggère à Élisabeth d’honorer la réunion de sa présence, mais s’entend reprocher cette audace : comment Sa Majesté peut-elle paraître à une soirée donnée pour des hommes dont la duchesse « en Bavière » n’aurait même pas prononcé les noms devant ses filles ? Découragée par tant de dédain ou d’apathie, Marie Festetics confiera à son journal : « Les années passant, l’impératrice en fera de moins en moins, on l’attaquera de plus en plus, et, avec toute sa richesse, elle sera de plus en plus pauvre. »
Même si Marie Festetics prend quelque importance, Ida est toujours la personne à qui l’impératrice confie des secrets qu’elle n’eût jamais confiés à la comtesse. Sans doute Ida et Marie sont-elles jalouses et se défient-elles l’une de l’autre. Si gentille et discrète qu’elle soit, elle ne peut chérir cette compatriote dont les quartiers de noblesse ont permis d’en faire officiellement une dame de compagnie. Mais c’est justement parce qu’Ida n’a pas de situation officielle à la cour et parce que, à la différence de Marie, elle n’a de relations importantes ni à Vienne ni à Budapest, qu’elle est si indispensable à sa maîtresse. Comme son logement, tout près de la Hofburg, communique directement avec les appartements impériaux, lorsque Élisabeth souffre d’insomnies et veut qu’on lui fasse la lecture ou qu’on lui chante une mélodie en hongrois, celle-ci peut l’appeler à toutes les heures de la nuit. C’est Ida qui voit l’impératrice quand elle se sent au plus bas ; c’est dans les bras d’Ida qu’Élisabeth fond en larmes comme une enfant abandonnée parce qu’elle vient de découvrir une ride et qu’elle a peur de vieillir.
Tant Ida Ferenczy que Marie Festetics, elles sont toutes deux de bon conseil. Parfois, les critiques de Marie ne sont pas du goût de l’impératrice et son ton moralisateur l’ennuie. Et dans ses moments d’exaspération, Élisabeth n’est pas facile et de fort mauvaise foi. Ces dames font avec ! En fait, à partir de 1870, la misanthropie de l’impératrice commence à prendre des proportions inquiétantes et rend toute activité sociale de plus en plus improbable. Elle n’a plus seulement peur des foules curieuses ou admiratives, mais même des fonctionnaires de la cour. Marie Festetics note : « Je suis chaque fois frappée par sa peur de rencontrer des gens de la cour : un aide de camp (et, bien sûr, l’aide de camp général) suffit pour qu’elle sorte toutes ses armes défensives ; elle déploie alors sa voilette bleue, sa grande ombrelle, son éventail, et s’engouffre dans le premier chemin de traverse qu’elle trouve. » Menacée de croiser un courtisan, Élisabeth s’exclame : « Mon Dieu, sauvons-nous, c’est comme si je les entendais déjà nous adresser la parole. » Ou encore : « Oh, malheur, Bellegarde ! Celui-là me hait tant que je me mets à transpirer dès qu’il me regarde ! » On pourrait multiplier les exemples.
Pourtant, Sissi sait se montrer attachante avec les femmes qui la servent. Éloignée d’Ida, elle lui écrit et lui parle de son amour pour les chevaux : « Embrasse Ballerina pour moi, de la tête aux sabots, mais prends garde qu’elle ne te donne un coup de pied dans l’estomac : car elle est mauvaise par moments. » Ou bien : « Tous mes baisers aux chevaux. Quel dommage que je ne puisse toujours emmener mes favoris avec moi. » De Budapest, elle écrit à Ida restée à Vienne qu’elle tremble à l’idée de rentrer à Schönbrunn : « À part toi et mes chevaux, je ne trouve là-bas que des désagréments... »
La gentillesse d’Élisabeth n’apparaît nulle part mieux que dans ses lettres à Mary Throckmorton, une jeune Anglaise que la reine de Naples lui a recommandée
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