L'Impératrice indomptée
hypersensible qui connaît le spleen des Wittelsbach. Elle sait qu’elle demeurera solitaire.
Les obligations de la cour forment un obstacle permanent à son bonheur intime. Il lui répugne de consacrer tant de temps et de peine à des solennités où elle discerne une si grande disproportion entre le déploiement de la pompe extérieure et la vanité des sentiments qu’il recouvre. Envers la Majesté habsbourgeoise, l’impératrice affiche un dédain total. Elle ne mentionne jamais qu’entre des guillemets ironiques les titres et les dignités. Elle a grand pitié, dit-elle, des gens qui n’ont pas le sens de l’éternité. « Dans cent ans, il n’y aura probablement plus un trône. Tout ce qui nous semble aujourd’hui inamovible, éternel, n’aura existé que pour tomber en poussière. » Le peuple viennois sent, d’instinct, que la cour indispose Élisabeth, laquelle perçoit aussi la sourde hostilité qui y court contre la Hongrie et qu’elle juge comme une offense personnelle. Ce sentiment de se sentir seule et dépaysée ne peut qu’aviver son attrait pour les lointains voyages.
Elle passe souvent d’un extrême à l’autre. Elle peut se montrer triste et mélancolique, que ce soit pour une raison anodine ou pour une cause désespérée, puis devenir soudain gaie, malicieuse et exubérante. Imprévisible et désinvolte, féline et mystérieuse, touchante et agaçante, elle s’isole néanmoins dans sa souffrance. La reine de Roumanie, qui écrit sous le pseudonyme de Carmen Sylva, la connaît bien et remarque très justement : « Les hommes voulaient imposer à une fée le harnais d’un protocole rigide et guindé, mais la petite fée ne se laisse pas asservir ; elle ouvre ses ailes et s’envole, quand le monde l’ennuie... » Quelquefois, assise solitaire sur un banc, à Gödöllö, elle sanglote avec violence. Marie Festetics la regarde, navrée :
— Pourquoi tant de chagrin, Majesté ?
— Je ne sais pas, dit-elle.
Mais si elle succombe à de fréquents accès d’humeur et de tristesse, elle peut être saisie de véritables fous rires dans les occasions les plus solennelles. Au cours d’un dîner, le prince Lobkowitz, qui est assis en face d’elle, se met à jouer avec un cure-dent, au moment du potage. Projeté par un geste malencontreux, l’objet part comme une flèche et, après avoir décrit une courbe, vient tomber malencontreusement au beau milieu de l’assiette de l’impératrice. Tout d’abord, elle veut feindre de ne pas s’en être aperçue, mais le fou rire la gagne au point que des larmes coulent le long de ses joues. Là-dessus, l’empereur se tourne vers elle et lui dit : « Mais qu’y a-t-il, qu’as-tu donc ? Je voudrais rire aussi. » L’aide de camp, tout penaud, la regarde d’un air suppliant. Il fait pitié à Élisabeth qui se tourne vers l’empereur et lui souffle avec une expression malicieuse : « C’est une idée qui m’est passée par la tête. »
Un jour, il y a un grand dîner au pavillon impérial. Élisabeth a commandé une excellente crème au chocolat en pots pour le terminer. Elle avertit ses dames d’honneur à chaque plat de ne pas trop manger et de se réserver pour le dessert. L’instant arrive, le restaurateur tient à avoir lui-même l’honneur de faire le service. Le petit bonhomme obèse s’avance en se dandinant, la lourde coupe d’argent sur les bras, et, au même instant, patatras ! le voilà par terre, étalé de tout son long. Les petits pots au précieux contenu roulent sur le parquet glissant dans tous les coins. L’empereur, bon comme toujours, se lève pour venir en aide au pauvre homme. Mais Élisabeth dit tout tranquillement : « Vous allez voir, il va tout ramasser et nous les servir. » Mais non, arrive une autre crème : « Eh bien ! dit Élisabeth, c’est qu’on va les servir à d’autres ! »
Mais ses moments joyeux sont rares à la cour. Le protocole amidonné et la pesanteur sont toujours de règle.
X
AU SERVICE DE L’IMPÉRATRICE
Ê TRE AU SERVICE DE S ISSI n’est pas une sinécure : déplacements constants, sur terre ou sur mer, marches forcées, discrétion absolue et célibat volontaire comptent parmi les exigences imposées à Ida Ferenczy, Marie Festetics, la comtesse Sztaray, toutes hongroises, mais également à Fanny Angerer, sa coiffeuse.
La colonie hongroise était, bien avant qu’elle fût reine de Hongrie, importante à ses yeux. Ainsi, dès 1860
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