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L'Impératrice indomptée

L'Impératrice indomptée

Titel: L'Impératrice indomptée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Meyer-Stabley
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la voler sur le prix du « vrai » marbre. Les imitations évidentes de l’antique sont omniprésentes. La chambre est censée copier celle de l’immortelle Hélène de Troie. Surélevé au-dessus du sol de quelques centimètres seulement, le lit grec, d’une largeur inusitée, est recouvert d’un brocart couleur orchidée, portant un « E » et une couronne brodés. De sveltes nymphes penchées servent de montants de lit. Un vaste fauteuil, incrusté d’argent et d’ébène, est à demi recouvert d’une énorme peau de mouton. Deux grands vases bleus se dressent sur des socles sculptés. Il n’y a pas d’autre mobilier. Tous les tapis, tapisseries et lampes, Élisabeth les a achetés elle-même au Maroc et à Tunis.
    Une luxueuse salle de bains montre qu’elle est toujours une hédoniste. La splendeur de la Rome antique associée au confort de l’Amérique moderne ! À droite du vestibule d’entrée, une petite pièce est aménagée en chapelle. Élisabeth y place une Madone au doux visage qu’elle a achetée à Marseille. Non loin de la chapelle, s’aventurent les statues de ses autres dieux : Artémis, Vénus et Apollon ! De la terrasse, on a une vue de Gasturi et d’Aji-Deba, une antique petite ville étalée sur le versant de la colline, dont les maisons dévalent jusqu’à la mer. Il y a dans le parc un bois d’oliviers, des cyprès pareils à des sentinelles, et des parterres de jacinthes, de roses et de magnolias. Un satyre de marbre noir y a sur son dos Dionysos enfant. Sous un berceau de roses voisin, une statue du poète Heine porte, gravées, les strophes de ses Rêves solitaires . Gardant un parterre de fleurs, se dresse Péri, la fée mythique de la lumière. Au-dessous de l’escalier s’ouvre une grotte à stalactites. Quoique théâtrale, et presque ridicule le jour, celle-ci répand son effet au clair de lune. Un jeu de glaces dans ses profondeurs reflète la mer. Élisabeth l’appelle sa « grotte de Calypso ». Ce palais baroque porte à tout jamais son empreinte. Fait pour la contemplation et le rêve, il devient son véritable chez-soi à partir de 1891, lorsque les travaux sont achevés. Elle devrait s’y sentir heureuse, car, là, elle peut se dérober au monde, goûter la solitude et le calme auxquels elle aspire. Et cependant, elle ne s’y trouve pas plus satisfaite qu’ailleurs...
    Elle vit trop dans l’incessante angoisse du lendemain. Elle-même touche un jour à ce sujet et l’on discerne, dans ses paroles, la plainte d’une femme qu’obsède la perspective de vieillir : « À quarante ans, dit-elle, l’être humain se dissocie, se décolore et s’obscurcit, tel un nuage ; ce que nous aimions en lui n’est plus. La mort seule pourrait lui conserver sa jeunesse... » Elle n’achève pas sa pensée : « Ceux qui vivent et qui vieillissent, nous les voyons s’empâter. » Plus que l’appréhension ordinaire d’une femme devant l’alourdissement de l’âge, pointe ici la marque d’un être dont la pensée n’a jamais pu se détacher de l’enfance. La vie a refusé à Élisabeth la grande expérience de l’amour, même si son inclination pour François-Joseph a pu faire illusion. Ce qu’on a rapporté de sa sympathie pour le jeune comte Emmerich Hunyady qui l’a accompagnée à Madère, pour Elemer Batthyany et pour Jules Andrassy, sont de pures inventions suscitées par la cour. L’âge de seize ans a été le point culminant de sa vie, le sommet merveilleux que l’on ne saurait dépasser, et dont on ne peut que déchoir. Ce fut seulement durant ce court et hâtif printemps qu’elle a été heureuse.
    Pour sa contemporaine Hélène Vacaresco : « Douée de toutes les vertus qui s’appuient sur la force morale, l’impératrice est cependant faible comme un enfant quand elle est aux prises avec les réalités de la vie. De terribles malentendus s’élèvent alors entre elle et ceux qui la jugent... Certains d’entre eux la décrivent princesse romanesque, commettant l’erreur d’être, en ce siècle matérialiste, une rêveuse et une théoricienne... D’autres naïfs la montrent d’allures indépendantes, écoutant avec un mélange de plaisir et de crainte le bruit des torrents qui descendent de la montagne... Son âme demeure encore celle de la princesse enfant qui courait au gré de sa fantaisie, prompte et harmonieuse comme les flots. »
    C’est pourquoi elle retourne le plus souvent à Possenhofen, paradis d’arbres

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