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L'Impératrice indomptée

L'Impératrice indomptée

Titel: L'Impératrice indomptée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bertrand Meyer-Stabley
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est surchargé de travail et consciencieux jusqu’au scrupule, n’a pour lui que des impressions positives et il ne peut comprendre qu’Élisabeth puisse s’évader dans le monde du rêve. Malgré son adoration pour elle, il blesse sa femme en appelant « promenades dans les nuages » cet enthousiasme qui n’éveille pas d’écho en lui et parfois dresse comme une barrière entre les deux époux.
    L’esprit d’Élisabeth ne trahit aucun goût pour la rationalité. Elle ne s’est jamais beaucoup interrogée sur les origines de l’homme ni sur la question de l’égalité naturelle. Sa pensée a deux sources : le sentiment esthétique et la soif de bonheur. Être belle, être heureuse, ce sont les deux bienfaits que la créature humaine attend de la vie ; la tragédie de l’existence est qu’ils soient si rarement réalisés. De là dérive le romantisme pessimiste d’Élisabeth. Le besoin de beauté a, chez elle, un caractère foncier et primitif. Elle aime à voir autour d’elle des êtres beaux, elle admire la nature. « Je ne me sens à l’aise, disait-elle, que là où la civilisation n’a pas encore abîmé et refoulé tout ce qui est naturel. Même au Caire, au milieu de la foule bruyante des portefaix, des ânes et des âniers, je me sens moins oppressée qu’au bal de la cour, et presque aussi heureuse que dans les bois. La civilisation est l’ennemie de la culture ; la culture, on la trouve aussi dans le désert d’Arabie, et tout spécialement dans le Nord et l’Est, où le progrès moderne a peu pénétré. Ce qu’on appelle “civiliser”, c’est détourner et fausser les buts naturels de notre existence. La civilisation, c’est la machine ; la culture, c’est un organisme vivant formé des traditions du simple peuple. La civilisation est l’instruction que procurent les livres ; la culture est l’usage autonome de la pensée. La civilisation s’empare des individus et les emprisonne tous ensemble dans une morne collectivité. »
    Par ce romantisme impuissant, elle ressemble à son cousin Louis de Bavière. Leur commune souffrance c’est de se sentir, comme par une fatalité, prisonniers des préjugés et de la dure contrainte des usages. Louis échappe à la réalité présente par son enthousiasme et sa dévotion pour Richard Wagner. Élisabeth cherche dans un monde de fiction et de rêve, dans les paysages et la littérature, l’oubli de l’existence quotidienne. Leur soif de beauté provient de leur profonde aversion pour la vie ; ce n’est pas le romantisme de Byron, mais un malaise psychique qui les pousse vers le monde de l’art. Chez Louis, l’évasion est productive : son beau don d’utopie fait de lui le mécène de Wagner. Chez Élisabeth, plus passive, les tendances artistiques s’expriment peu.
    Louis a ses châteaux en Bavière, refuges oniriques à ses démons, Élisabeth ne possède rien en Europe. Aucune construction ne peut apaiser son insatiable nostalgie. Nulle part, elle ne se trouve bien, pas plus à la Hofburg que dans les autres résidences de l’empereur. Celle qui lui plaît le mieux est le petit château de Gödöllö, dont le magnifique parc d’équitation la dédommage des pressions de la cour. Mais ce n’est pas assez. Or, Corfou, la terre ensoleillée de l’ancienne Schéria, hante son imagination car, au cours de ses voyages, elle ne s’est jamais nulle part sentie mieux que sur cette île. Elle songe donc à y bâtir un château en suivant ses propres idées. L’empereur lui consent des subsides exceptionnels en ignorant que cette construction va finalement engloutir une fortune. Ce projet devient pour Élisabeth une occupation bienfaisante, qui donne un sens à ses journées. Dans l’image qu’elle se fait de sa future demeure, beaucoup d’éléments entrent en jeu : sa prédilection pour le paysage et la mer qui le baigne, son attrait pour l’hellénisme, enfin le besoin d’édifier un temple consacré à ses propres dieux ; car, sent-elle, son amour de la Grèce antique reflète un peu le visage de son pays natal. Elle commande de bâtir une villa (c’est en réalité un palais) sur le flanc d’une colline, au-dessus de la route qui longe le littoral et relie Corfou à la ville de Gasturi, en Benesse. Elle la baptise l’« Achilleion ». À l’exception de sa chambre à coucher et de sa salle de bains, l’intérieur est décoré avec faste. Peu scrupuleux, l’architecte choisi en profite au passage pour

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