L'Impératrice indomptée
intrépides ne peuvent s’occuper de l’impératrice ; son professeur de grec est du petit nombre de ceux qui, avec la souveraine, réussissent à rester debout. Quand, au bout de quelque temps, il succombe, Élisabeth ne s’apitoie guère ; elle se plaint seulement de ne pouvoir prendre sa leçon de grec. Mais elle finit par regagner sa cabine quand le bateau mouille à Porto, après avoir subi une des pires tempêtes dont l’Atlantique a gardé la mémoire. Il n’est pas surprenant que la comtesse Festetics regrettât amèrement d’avoir consacré sa vie à cette étrange et fantasque créature qui pouvait se montrer parfois si aimable, et à d’autres moments si égoïstement capricieuse.
1 - Irma Sztaray, Mes années avec Sissi , Payot, 2007.
XI
SOUCIS FAMILIAUX
P ERSONNE NE FUT JAMAIS aussi seul que François-Joseph. Et cependant, il avait une belle femme, qu’il adora aussi longtemps qu’elle vécut, et un fils dont l’adolescence était pleine de promesses et qui, à en juger par les lettres qu’il écrivait à sa grand-mère et à son précepteur, se montrait tendre et affectueux. Jusqu’à quel point Élisabeth était-elle responsable de cette solitude ? Jusqu’à quel point était-ce sa faute si le père et le fils s’éloignaient l’un de l’autre, François-Joseph s’atrophiant peu à peu jusqu’à n’être plus qu’une figure désincarnée, une machine appliquée à sa besogne, cependant que Rodolphe s’en allait à la dérive vers les tourbillons où il se perdrait ? Avait-elle jamais tenté sérieusement de combler le vide laissé par la mort de l’archiduchesse Sophie ?
En fait, toute sa vie, Rodolphe ne doit compter que sur lui-même. C’est pour lui la seule attitude possible. Ses parents lui donnent peu d’amour. Sa mère est belle mais névrosée, et son père fruste et absorbé par ses occupations. Leur fils acquiert une fermeté de caractère, empreinte d’arrogance, qui ne semble avoir cédé que dans ses dernières années. Quand il n’est qu’enfant, sa mère lui dit un jour qu’il est méchant et que Dieu ne l’aimera pas s’il ne s’amende pas. Le jeune Rodolphe répond alors avec une rigueur toute monarchique : « Dieu m’a fait comme je suis. Il doit être content de son oeuvre. »
À mesure qu’il grandit, ceux qui le connaissent s’étonnent de son brio et de sa facilité à apprendre, mais aussi de sa façon lucide de s’exprimer. D’humeur changeante et de tempérament versatile, il est sujet à des rages soudaines dans lesquelles sa nature essentiellement chaleureuse et passionnée se donne libre cours. Ses réactions sont imprévisibles, son caractère difficile. Doué pour les études, il reçoit une instruction brillante et, dans son évolution intellectuelle, subit l’influence de sa mère.
Si l’impératrice passe pour avoir été au début une « bonne catholique », elle devient une ardente humaniste. Elle adore la Grèce ancienne et se plonge dans tout ce qui est grec : langue, littérature et philosophie. Ses amitiés sont bien loin d’être exclusivement catholiques ; son cercle fermé comprend des Grecs, des orthodoxes, des protestants et des juifs. Pour apprendre le hongrois, elle choisit comme professeur un journaliste libéral du nom de Max Falk qui, en sa qualité de juif, essuie naturellement le mépris de la cour. La mère de Rodolphe est une rebelle et, comme son fils, elle défend les opinions libérales. Mais celui-ci fera cependant remarquer plus tard à son précepteur qu’il est désolant que sa mère « prenne maintenant si peu d’intérêt à ces sujets, car il fut un temps où elle s’occupait de politique... ». « L’auguste dame, poursuivra Rodolphe, ironiquement, ne se soucie maintenant que de sport, et ainsi cette brèche par laquelle les opinions extérieures de teinte libérale, qui autrefois réussissaient à atteindre l’empereur, est-elle maintenant fermée. » Mais si l’impératrice influence le développement intellectuel de Rodolphe, il est évident qu’elle-même et le père du jeune homme sont coupés de leur fils sur le plan affectif.
Or, dès l’âge de quinze ans, Rodolphe déclare son opposition à son Église, à sa classe, et à l’administration réactionnaire de son père. Le jeune homme refuse de servir dans la cavalerie, foyer militaire des aristocrates. Il se sent davantage à l’aise dans l’infanterie où servent la plupart des soldats de la classe
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