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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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Toggenburg l’apprendrait et se douterait peut-être qu’elle ne croit pas à la version officielle. Il faudrait, songe-t-elle en regardant la place Saint-Marc de sa fenêtre, il faudrait prendre contact avec le fiancé de Mlle Wastl. Et cela de façon directe, car l’idée que sa femme de chambre interfère dans cette enquête ne lui plaît pas. S’il est vrai que le jeune homme ne supporte pas son supérieur, il sera peut-être prêt à papoter un peu…

16
    Alessandro se pencha en haletant au-dessus de la table du petit déjeuner pour verser du café à la comtesse. La cafetière, le plateau posé sur la table, la corbeille ciselée dans laquelle se trouvaient trois petits pains durs comme la pierre – tout était en argent. Mais cela ne valait pas la peine de revendre la vaisselle. À Venise, le marché de l’argenterie était saturé. Tron n’avait même pas essayé.
    — Tu ne trouves pas que M. Widman exagère, Alvise ?
    Les traits fins de la comtesse traduisaient un certain agacement. De la vapeur sortait de la tasse qu’elle tenait devant sa bouche comme d’une coupe à libation. Le café qu’on faisait bouillir plusieurs fois pour des raisons d’économie était brûlant et s’opposait au froid qui montait du sol en mosaïque – surtout quand on le mêlait d’eau-de-vie, ce pour quoi la comtesse utilisait de préférence de la grappa.
    — Qu’a-t-il dit exactement ? continua-t-elle.
    — Il dit que depuis la nuit de dimanche, ce ne sont plus des gouttes, mais des seaux d’eau. Ce qui ne semble pas faux quand on voit le plafond.
    — Que faire ?
    — M. Widman propose de s’occuper du toit – à condition qu’on le paie.
    La comtesse fronça les sourcils.
    — Combien veut-il ?
    — À peu près ce que nous dépensons cette année en musiciens et en extras.
    À peine avait-il achevé sa phrase qu’il la regrettait déjà.
    La comtesse évita son regard. Elle examina les tentures en brocart qui recouvraient les murs, s’arrêta sur le tissu élimé des fauteuils et suivit avec lenteur les fissures au plafond. Quand elle se remit à parler, son fils fut effrayé par la résignation dans sa voix.
    — Cet hôtel nous dévore, Alvise.
    Il soupira.
    — Nous devrons bien un jour louer l’étage principal. Presque tout le monde le fait désormais.
    — Et mon bal masqué ?
    Le ton de la comtesse était plus triste qu’hostile.
    — Nous pouvons le louer juste pour l’été ?
    Elle rejeta la proposition d’un geste las de la main.
    — Et qu’en est-il du Tintoret qu’Alessandro a porté hier chez Sivry ?
    — Je passe chez lui tout à l’heure, sur le chemin de la questure.
    — Cela suffira-t-il pour le toit ?
    — Mes hommes ont surpris le fils de Widman en train de lire un journal de Turin au café Florian . Je devrais l’assigner, mais je peux aussi m’arranger pour que l’affaire passe à la trappe. En échange, Widman travaillera sans doute pour un prix acceptable.
    Tron essaya de sourire.
    — Quand y vas-tu ?
    — Juste après le petit déjeuner.
    Sa mère tourna la tête et jeta par la fenêtre un regard furtif en direction du ciel de plomb.
    — S’il recommence à neiger, mets ton bonnet en laine en dessous de ton haut-de-forme. Sinon, tu risques de prendre froid et tu devras garder le lit dimanche soir.
    Elle saisit son petit pain et le trempa dans le café d’un air résolu – avec l’expression d’une femme qui n’a plus peur de rien.
     
    Trente minutes plus tard, quand Tron sortit de l’hôtel particulier, le ciel s’était éclairci comme par miracle. D’habitude, il prenait le chemin qui passe par le Rialto, mais tenté par ce beau temps inattendu, il se dirigea vers le sud du campo San Cassiano. Dix minutes après, il se trouvait devant l’église dei Frari – un monument important pour les Tron car il renfermait le tombeau de Nicolo, le seul doge dont la famille puisse se vanter dans sa longue série d’ancêtres.
    Pour le commissaire, ce bâtiment se rattachait à ses tout premiers souvenirs : il se voyait encore, immobile devant le tombeau tandis que son père, qui le tenait par la main, lui faisait un exposé sur la grandeur passée de la maison Tron. Sans doute ne visitaient-ils cette église qu’en été, car ces images évoquaient à la fois une chaleur oppressante et la bienfaisante fraîcheur qu’on éprouvait en entrant dans la gigantesque nef. En ressortant, le père d’Alvise s’autorisait en général un verre de vin dans la petite

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