L’impératrice lève le masque
mais en même temps, Tron goûtait le contraste entre les tons pastel du XVIII e siècle et les sévères habits noirs. Sur l’invitation, il était écrit « bal masqué », mais celui qui connaissait les mœurs de Venise savait qu’un loup suffisait. Le choix de la tenue était laissé à l’appréciation de chacun.
Les convives affluaient maintenant à un rythme si soutenu qu’une file s’était formée dans le vestibule. Jusque-là, on avait jeté un coup d’œil sur les invitations, mais maintenant les gens passaient à côté du comité d’accueil sans même les montrer. C’était toujours pareil et Tron sentait venir le moment où tout leur échapperait. Il fut conforté dans sa crainte par l’expression peinte sur le visage de sa mère et le regard nerveux qu’elle jeta dans le vestibule tandis qu’un nouvel arrivant lui baisait la main.
Les musiciens étaient retournés à leurs places. La deuxième phase de la soirée commençait. À ce moment-là, la comtesse et son fils avaient l’habitude de quitter leur poste et de se rendre dans le salon aux tapisseries pour se restaurer un peu devant la table à thé. Ceux qui arrivaient maintenant devaient les chercher au milieu de la foule pour les saluer. La comtesse partit la première, mais s’arrêtait sans cesse pour, de-ci de-là, échanger quelques mots avant de reprendre sa course parmi les invités à coups de petits gestes précis. Un flot de danseurs se dirigeait vers la piste, et comme Tron n’avait pas envie d’aller à contre-courant, il attendit sans bouger.
C’est alors qu’il aperçut à une extrémité de la salle une jeune femme de grande taille, vêtue de noir, le visage à moitié caché par un loup de la même couleur. Elle portait des gants, noirs eux aussi, qui lui remontaient au-dessus du coude, et comme les manches de sa robe s’arrêtaient à une main de ses épaules, on pouvait entrevoir une partie de ses bras, bien mis en valeur par la couleur de sa tenue. Il doutait qu’elle sût combien elle était attirante.
Elle se tenait immobile près d’une console et semblait attendre quelque chose. Soudain, elle regarda Tron de l’autre côté de la piste. Du moins eut-il l’impression que derrière le masque, son regard se fixait sur lui. Puis elle inclina vers sa gorge son éventail ouvert, ce qui ne pouvait vouloir dire qu’une chose : je voudrais danser avec vous.
Les pieds du commissaire se mirent en marche comme par réflexe. Il contourna un couple de bergers masqués, évita avec habileté un Pierrot à tête d’oiseau, mais au centre de la piste qui s’était emplie dès les premières mesures, il perdit de vue l’inconnue. Lorsqu’il arriva au bout de la salle, elle avait disparu. Il ne la retrouva ni dans le salon aux tapisseries ni dans celui de la comtesse. Deux minutes plus tard, en se penchant au-dessus de la rampe d’escalier, il constata qu’elle n’était pas non plus dans le vestibule.
— Alvise ?
Il se retourna et vit Alessandro qui l’observait en fronçant les sourcils.
— Tu cherches quelqu’un ?
— Euh… Non ! Je…
Tron laissa la phrase en suspens. Il n’avait pas envie d’évoquer la dame en noir. Il se trouvait stupide.
— Une certaine comtesse Hohenembs désire s’entretenir avec toi.
— Pourquoi ne vient-elle pas me voir ?
— Elle voudrait te parler en tête à tête.
— T’a-t-elle dit de quoi il s’agissait ?
— De l’affaire de la Lloyd.
Au cours de la soirée, le commissaire avait songé deux fois à cette histoire. La première en saluant Pergen, qui avait fière allure en queue-de-pie et semblait d’excellente humeur. La deuxième en donnant la main à Haslinger, arrivé peu après le colonel. Dans un cas comme dans l’autre, il avait chassé ces pensées comme de la fumée de cigarette qui vous pique les yeux. Il haussa les épaules.
— La comtesse ne pourrait-elle pas venir demain à la questure ?
— C’est ce que je lui ai proposé, mais elle m’a répondu que c’était urgent. Elle est venue avec les Königsegg.
— Ils sont là ?
Alessandro fit un signe de tête.
— La comtesse s’entretient justement avec eux.
— Et où se trouve la comtesse Hohenembs en ce moment ?
— Je l’ai conduite dans la chapelle. Vous y serez tranquilles.
Quelque chose dans la voix du domestique fit sourire Tron.
— Comment est-elle ?
— Elle va te plaire.
— Dans ces conditions, j’y vais tout de suite.
43
Sissi est assise, un peu
Weitere Kostenlose Bücher