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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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lorgnon) et ravala sa salive pour se donner de la force en avançant vers elle.
    La comtesse avait son loup, mais il ne faisait pas de doute qu’elle souriait, car les commissures de ses lèvres pointaient vers le haut. Et il était certain aussi qu’il s’agissait de la jeune femme qu’il avait recherchée en vain quelques minutes plus tôt. Il s’inclina : — Comtesse Hohenembs ?
    Elle acquiesça d’un mouvement de la tête. Les extrémités de sa bouche se relevèrent encore. À deux pas de distance, elle paraissait même plus attirante que de l’autre côté de la salle de bal. Tron lui donnait vingt-cinq, trente ans au maximum. Elle ne semblait pas disposée à ôter son masque. Il fit un dernier pas vers elle et se pencha sur sa main. Puis il dit en allemand : — J’allais vous inviter à danser, mais quand je suis arrivé de l’autre côté de la piste, vous aviez disparu. Je suis désolé.
    — De quoi êtes-vous désolé, comte ?
    — Je croyais que vous aviez manifesté le désir de danser avec moi ?
    — Qu’est-ce qui vous fait croire cela ?
    L’étonnement dans sa voix n’était pas feint. Elle n’avait pas l’accent viennois. Peut-être n’était-elle même pas autrichienne.
    — Votre éventail, expliqua-t-il.
    — Mon éventail ?
    — Vous l’avez ouvert et penché vers vous. Cela veut dire : « Dansez avec moi ! »
    — Je ne savais pas ! Quel hasard…
    — Auriez-vous refusé si j’avais eu la chance de pouvoir vous inviter ?
    Au lieu de répondre, elle rit.
    — Je ne savais pas qu’on dansait la valse à vos bals masqués, remarqua-t-elle pour changer de sujet.
    — Et que pensiez-vous que nous dansions ?
    — Des contredanses, des menuets, des sarabandes…
    Il sourit à son tour.
    — Nous sommes en 1862. Voilà presque dix ans que nous avons l’éclairage au gaz sur la place Saint-Marc. Le temps s’écoule peut-être un peu moins vite chez nous, mais il n’est tout de même pas immobile ! Cela vous déçoit ?
    — Non, mais à vrai dire, je ne suis pas venue pour parler de valse.
    — Je sais. Vous voulez me parler de l’affaire de la Lloyd, mais vous auriez très bien pu venir à mon bureau.
    — Je ne voulais pas perdre de temps.
    — Tout cela paraît bien dramatique !
    Tron sourit.
    — Pourrais-je tout d’abord vous poser une question, comtesse ?
    — Je vous en prie.
    — Pourquoi gardez-vous ce loup ? Maintenant que je connais votre nom, cela n’a plus de sens.
    — Sans ce masque, je ne serais pas ici.
    — Certes. Comme tous nos invités. Mais cette conversation n’a rien à voir avec le bal. Et par ailleurs…
    — Par ailleurs… ?
    — J’aimerais beaucoup voir votre visage.
    — Pourquoi cela ?
    Il sourit une nouvelle fois.
    — Parce que je ne crois pas que vous ayez à en rougir.
    Il vit la bouche de la comtesse s’ouvrir, rester un instant béante, puis se refermer. Ses lèvres, deux traits fins, se mirent alors à vibrer. Elle poussait de petits bruits qui ressemblaient à des « hum » et à des « heu ». Il crut tout d’abord qu’elle s’étouffait et se dit avec effroi qu’il était allé trop loin, que les « hum » et les « heu » exprimaient de la désapprobation. Mais il finit par comprendre qu’elle riait.
    Elle riait toujours en dénouant le ruban dans sa nuque et en ôtant son masque.

45
    Jamais elle n’aurait imaginé qu’il ne la reconnaîtrait pas. Et pourtant, il reste là, à froncer les sourcils, et il est manifeste qu’il ne sait pas qui se tient devant lui. Le commissaire est un homme de taille moyenne, mince, aux cheveux blonds et fins, avec de petites rides autour des yeux qui la considèrent maintenant avec embarras. Il a l’air inoffensif et surtout mal à l’aise, trouve-t-elle. Peut-être gêné, comme s’il était sur le point de la reconnaître. Cela ne la surprendrait pas : la plupart des gens qu’elle rencontre sont gênés. Elle s’éclaircit la gorge.
    — Comte ?
    — Oui ?
    — Auriez-vous la bonté de m’accorder votre attention ?
    — Je ne fais rien d’autre, comtesse.
    Il tient toujours dirigés vers elle ses gentils petits yeux bleus qui semblent un peu myopes. Non, elle ne s’est pas trompée. Il ne la reconnaît vraiment pas, et tout à coup, elle comprend à quoi cela tient. C’est si simple qu’elle recommence à rire. Puis elle lui demande :
    — Où avez-vous rangé le pince-nez que vous portiez dans la salle de bal ?
    Si cette question lui paraît étrange, il se garde bien de le

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