Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
Vom Netzwerk:
mouches, d’éventails et surtout de l’odeur de cire et de parfums d’antan. Si ces bals sont aussi frivoles que le veut la rumeur, il doit y avoir une foule de cavaliers servants prêts à inviter une signora grande et mince.
    C’est bizarre, se dit-elle, cette envie qu’elle a de danser depuis quelques jours. Pas de danser comme l’impératrice d’Autriche à un mètre de François-Joseph lors des cérémonies officielles de la Hofburg où chaque pas et chaque parole est dicté par l’étiquette – non, merci bien. Mais de danser vraiment, de s’oublier un peu et non de devoir sans cesse se rappeler que deux cents paires d’yeux suivent chacun de vos mouvements.
    — Cela nous ferait perdre du temps pour rien, reprend-elle. Il serait impardonnable de ne pas prévenir tout de suite le commissaire.
    Elle se tourne alors vers son intendante en chef.
    — Que savez-vous des invités ? Votre cousine vous a-t-elle donné des précisions à ce sujet ?
    — La plus grande partie des hôtes sont des Vénitiens, répond la comtesse.
    — Y aura-t-il des Autrichiens ?
    Mme Königsegg secoue la tête.
    — Ma cousine ne m’a rien dit à ce sujet.
    — Et combien de personnes attend-on ?
    — Environ cent cinquante.
    — Donc, il est peu vraisemblable qu’on me reconnaisse. Quand pensez-vous partir ?
    — La gondole attendra devant la Piazzetta à neuf heures et demie.
    L’impératrice se lève.
    — J’aimerais que vous régliez encore quelques détails pour moi.
    Ses instructions sont brèves et précises. Il faut dire qu’elle a consacré une partie non négligeable de son temps à méditer sur cette question.
     
    Quatre heures plus tard, elle tourne sur elle-même entre trois grands miroirs à pied disposés en arc de cercle. Deux douzaines de crinolines, de robes à paniers et de masques, que Mme Königsegg a rapportés de divers magasins de costumes, s’empilent sur le divan, recouvrent des dossiers de chaise, pendent à des poignées de porte ou traînent en tas sur le sol du cabinet de toilette. On dirait une loge de théâtre utilisée par toute une troupe en même temps. La frontière entre les déguisements déjà essayés et ceux qu’elle doit encore enfiler passe quelque part au centre de la pièce. Seules les étiquettes cousues à l’intérieur des vêtements permettent encore de savoir d’où ils proviennent.
    Le tissu de la robe qu’elle porte en ce moment (est-ce la quinzième ou la seizième ?) lui plaît beaucoup. C’est une soie verte un peu passée, avec de tendres applications de dentelle rose pâle au niveau de la poitrine et une amusante guirlande de minuscules roses tout le long de l’ourlet. On dirait qu’elle sort tout droit d’un tableau de Watteau. Cela dit, à chaque mouvement, la robe grince comme une porte mal huilée, et il est peu probable qu’on puisse s’asseoir aisément dans ce carcan – pour ne pas parler de s’amuser en dansant. Mais elle se garde bien de formuler cette dernière objection à voix haute.
    Élisabeth se retourne vers Mlle Wastl qui attend trois pas derrière elle et qui, depuis deux heures, lui tend des robes sans rechigner, les boutonne, les enlève et lui reprend les crinolines.
    — Aide-moi à me déshabiller et passe-moi la verte posée sur la chaise.
    Celle-ci (elle s’en rend compte dès que sa femme de chambre a mis le dernier bouton) ne convient pas non plus. Pas pour un bal masqué à Venise. Elle fait penser à Paris, genre faubourg Saint-Germain. En plus, avec un décolleté aussi généreux, il faut des paquets de bijoux, et elle n’a pas l’intention d’emporter une fortune chez les Tron.
    Elle secoue la tête malgré elle.
    — Non. Ça ne va pas. Passe-moi la robe qui est sous le loup rouge.
    Cette dernière est un peu trop large aux hanches (quelques coups d’aiguille résoudront le problème), mais dès qu’elle se regarde dans les miroirs, Élisabeth sait que c’est la bonne. Elle est taillée dans une épaisse soie noire – un noir profond, presque bleuté – aux reflets si changeants qu’on a l’impression que des étincelles jaillissent des plis lorsque la robe froufroute.
    En plus, ce n’est ni une robe à paniers ni une crinoline. Elle est juste un peu bombée dans le dos et au niveau des hanches, ce qui rappelle le style du XVIII e siècle – raison pour laquelle on l’a proposée à Mme Königsegg. Un col en tulle gris foncé se termine sur le devant par une sorte de jabot en dentelle. Les manches

Weitere Kostenlose Bücher