L’impératrice lève le masque
crispée, sur l’une des deux chaises placées devant l’autel et laisse son regard errer à travers la chapelle. C’est une pièce rectangulaire au centre de laquelle une table, recouverte d’une nappe rouge retombant sur le sol, se dresse sur une estrade. Deux chandeliers jettent un reflet ovale sur le retable. Ils éclairent en outre un seau à champagne et deux coupes.
Élisabeth trouve cela assez inconvenant – non pas à cause du lieu, mais parce que chez elle, personne n’aurait l’idée de boire pendant une discussion sérieuse. Certes, une telle fantaisie s’accorde bien avec l’air complice du domestique qui lui a ouvert la chapelle. C’était un sourire ambigu. Ou bien se trompe-t-elle ? À bien y réfléchir, cet Alessandro Da Ponte s’est peut-être seulement montré aimable. De même que le valet qui, deux minutes après, a frappé quelques coups discrets à la porte et posé le champagne sur l’autel.
En tout cas, il n’est pas dans les intentions de Sissi de rester ici plus longtemps que nécessaire. L’entretien devrait durer tout au plus trente minutes. Au fond, elle veut juste révéler au commissaire le nom de l’assassin. Elle ne peut de toute façon rien faire d’autre. Ensuite (quoi que les Königsegg aient à y redire), elle ira danser. Elle est vraiment surprise qu’on joue des valses au bal masqué des Tron. De même qu’elle a été surprise en entrant dans leur palais.
En arrivant avec le comte et la comtesse il y a une demi-heure, elle a réagi comme la plupart des gens qui viennent pour la première fois. Le revêtement du portique qui tombe en ruine et les marches branlantes dans la cage d’escalier l’ont d’abord dégrisée, mais en entrant dans les appartements, elle a été stupéfaite, puis enchantée.
La salle de bal est plus modeste qu’elle ne s’y attendait, mais elle ne paraît nullement petite bien qu’une centaine de personnes y soient rassemblées. Élisabeth suppose que cela tient aux miroirs des deux côtés de la piste qui reflètent la lumière des bougies, agrandissent la pièce dans toutes les directions et procurent aux convives une sensation de vertige croissant à chacun de leurs pas.
Il en résulte une joie instantanée, presque physique. Elle a éprouvé quelque chose de comparable la semaine dernière en traversant seule la place Saint-Marc. Mais ici, l’émotion est encore plus forte et Sissi s’est demandé (alors que retentissaient les premières notes d’une véritable valse de Vienne et que les couples se formaient sur la piste) quel plaisir procurait la danse dans un tel cadre.
Personne n’a fait attention à elle quand elle est entrée. Elle n’a pas dû remonter toute une allée de femmes faisant la révérence et d’hommes s’inclinant sur son passage. L’assistance ne s’est pas étirée le cou pour la dévisager avec curiosité. Quand un regard se posait sur elle, c’était bien elle qui était visée, et non l’impératrice. Quand un sourire suivait le coup d’œil (la plupart des convives portaient des loups qui laissaient leurs bouches à découvert), Sissi souriait à son tour.
Comme Mme Königsegg a jugé préférable de partir seule à la recherche de sa cousine, Élisabeth et le général l’ont attendue au bord de la piste. Cinq minutes plus tard, l’intendante en chef est réapparue sans la comtesse Tron, mais en compagnie d’un homme aux cheveux blancs et aux gentils yeux gris qui s’est présenté sous le nom d’Alessandro Da Ponte et lui a aussitôt ouvert la chapelle. Sans doute est-ce lui aussi qui a envoyé un serviteur avec le champagne.
Sissi soupire et se lève. Elle lisse les plis de sa robe et s’avance vers l’autel. La musique qui traverse les murs est en parfaite harmonie avec les angelots du retable qui ressemblent à des cupidons. En tournant la tête, elle aperçoit un canapé dans le fond de la chapelle et ne peut s’empêcher de rire. Elle a décidé de trouver amusant tout ce qui devrait la troubler. Puis elle entend la porte s’ouvrir derrière elle et se retourne.
44
Comme elle se tenait devant l’autel au moment où Tron entra et que la lumière des bougies l’éclairait à contre-jour, le visage de la comtesse Hohenembs était baigné d’ombre. Il mit plusieurs secondes avant de la reconnaître (le temps que ses yeux s’habituent) et il se dit alors : « Ce n’est pas vrai ! » Il retira son pince-nez (persuadé de faire plus viril et plus courageux sans
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