L’impératrice lève le masque

une deuxième gorgée et constate aussitôt que le champagne la détend.
    — Je sais qui a tué le conseiller et la jeune femme, reprend-elle sans détours.

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    Tron crut avoir mal entendu.
    — Vous avez bien dit « Haslinger », Altesse Sérénissime ?
    Elle approuva d’un signe de tête.
    — Le colonel Pergen l’a couvert dans les deux cas, explique-t-elle. Dans l’affaire de Gambarare et dans celle de Vienne.
    — Mais pourquoi ?
    — Ils ont fréquenté l’école militaire à la même époque. Il se peut que Pergen lui soit redevable de quelque chose… Sauf que cette fois, le colonel ne semble plus avoir agi au nom d’une vieille amitié, mais parce que l’autre exerce du chantage. Il l’a menacé de transmettre au commandant de place les documents disparus dans la cabine du conseiller. C’est ce que l’ordonnance du colonel a entendu quand il était dans le couloir.
    Tron se leva et se dirigea vers la fenêtre. Au fil des siècles, le sol s’était affaissé de sorte qu’il eut l’impression de descendre une pente raide. Au bout d’un moment de silence, il revint vers l’autel, se rassit et raconta à son tour ce qu’il savait. Quand il eut terminé, l’impératrice lui dit : — Vous n’avez donc pas cru non plus à cette histoire d’attentat ?
    — Non. Au départ, mes soupçons se portaient sur Grillparzer. Puis sur le père Tommaseo.
    — Et qu’allez-vous faire maintenant ?
    — Je ne peux rien faire, répondit-il. Spaur me suspendra si je vais lui raconter que son neveu est un assassin. De toute façon, même pour le meurtre de Moosbrugger, c’est la police militaire qui enquête parce que le personnel du Lloyd Triestino est considéré comme faisant partie de la marine.
    — Donc, pour vous, les jeux sont faits ?
    — Cela m’en a tout l’air.
    — Pourtant, Ennemoser assure que Pergen veut à tout prix retrouver les documents disparus.
    — Je sais, renchérit Tron. C’est la raison de ses visites chez Ballani.
    — Cela veut donc dire, déduisit-elle, qu’il n’est pas absolument persuadé qu’ils soient en possession de Haslinger. Vous rendez-vous compte des conséquences, commissaire, s’il met vraiment la main sur les papiers ?
    — Dans ce cas, Haslinger ne pourra plus faire semblant de les avoir…
    — Exactement. Donc, il se sentira menacé. Or il ne prend aucun risque, comme nous le savons désormais.
    Tron fronça les sourcils.
    — Vous voulez dire qu’il pourrait… ?
    — Non, commissaire. Pas qu’il pourrait , mais qu’il va . Il a tué le chef steward qui savait ce qui s’était passé sur le navire. Il a tué la femme à Trieste pour s’emparer du carnet de Moosbrugger. S’il apprend qu’il ne peut plus manipuler Pergen, il va l’éliminer à son tour.
    Elle agitait son éventail dans la pénombre pour donner plus de poids à ses supputations.
    — On croira qu’il s’agit d’un crime politique. Personne ne se doutera que c’est Haslinger.
    — En d’autres termes, résuma Tron, si Pergen trouve les documents, c’est un homme mort ?
    — Aussi mort que les deux autres. Tous ceux qui découvrent la vérité sont en danger.
    Elle se tut un instant.
    — Regardez, le sergent qui a déposé contre lui lors du procès a également été retrouvé la gorge tranchée… Je me demande si le prêtre vit encore.
    — Quel prêtre ? voulut savoir le commissaire.
    — Père Abbondio, le prêtre de Gambarare qui a porté plainte.
    — Excusez-moi. Comment dites-vous ? Gambarare ?
    — Oui, confirma-t-elle. Un petit village à proximité de Mira. Je ne vous l’ai pas dit tout à l’heure ?
    Il secoua la tête avec nonchalance.
    — C’est possible… J’ai dû être distrait…
    Soudain, les pensées se mirent à s’enchaîner à toute vitesse dans son cerveau.
    — Savez-vous ce qu’il est advenu de la jeune fille dont les parents sont morts lors de cette action ?
    — Au moment du procès, elle était placée dans un orphelinat de Venise, répondit l’impératrice.
    Tron toussota avant de continuer :
    — A-t-elle témoigné ?
    — Oui, mais elle ne se souvenait de rien.
    Sissi lui jeta un regard inquiet.
    — Tout va bien, comte ?
    — Cette jeune fille… poursuivit-il sans répondre à sa question.
    Puis il se tut et serra les lèvres si fort qu’elles devinrent toutes blanches.
    — … cette jeune femme était à bord de l’ Archiduc Sigmund . Et elle a reconnu Haslinger. Il s’agit de la princesse de Montalcino.
    — Comment le savez-vous