l'incendie de Rome
bien. Ce sont les meilleurs des hommes. Ils sont animés uniquement par l’amour.
— Les meilleurs sont parfois capables du pire.
Désespéré, Lucius s’adressa à l’empereur :
— Je t’en supplie, César ! Si tu as quelque estime pour moi, écoute-moi. Ils sont innocents !
Mais le visage de Néron s’était fermé. Il prit la parole d’un ton tranchant :
— Je décide l’arrestation immédiate des chrétiens. Tigellin, tu t’en chargeras. Gemellus, tu l’accompagneras !
Peu après, Lucius faisait route vers le nord de Rome en compagnie du préfet du prétoire et de toute une cohorte de soldats, dans la désolation des régions dévastées par l’incendie. Il était anéanti par le coup qui venait de le frapper. Ainsi donc, toute l’attention qu’il avait prêtée aux chrétiens n’allait servir qu’à les faire arrêter ! Ces gens lui avaient apporté le plus précieux des réconforts, ils lui avaient délivré un message d’amour et d’espérance et il allait être l’instrument de leur malheur !
Et Délia, qu’allait penser Délia ? La réponse était, hélas, sans équivoque. Elle le prendrait pour le plus abominable des traîtres. Il y avait quelques instants encore, il pensait à elle. Il faisait des projets d’avenir. Mais tout cela n’existait plus. Il n’y avait plus d’avenir, il n’y avait plus de vie, il n’y avait plus rien !
Il aurait pu ne pas être là. Un instant, il avait eu la tentation de refuser de suivre le préfet du prétoire. Mais il s’agissait d’un ordre exprès de l’empereur et, malgré toute la sympathie qu’il avait pour lui, Tigellin aurait été contraint de l’arrêter. C’était cette dernière éventualité qui l’avait décidé. En prison, il n’aurait plus eu aucun moyen d’agir. Or il gardait l’espoir de faire encore quelque chose. Tandis qu’il cheminait, la tête baissée, la voix du préfet du prétoire le tira de ses pensés :
— Il n’y avait aucune autre solution, Gemellus.
— Tu ne comprends pas ? Ils sont innocents !
— Ils le sont sans doute. Mais l’empereur aussi. Il s’agit de remplacer un innocent par d’autres.
— On ne peut pas dire que le feu était accidentel ?
— Non. Le peuple veut des coupables. Il faut lui en donner.
— Comment peut-on être aussi insensible que toi ?
— J’ai en charge la politique du pays. Je ne pense même pas à Néron, je pense à l’État. Il faut préserver l’État…
Peu après, les soldats fouillaient les maisons du quartier. Sans grand espoir, Lucius avait refusé de dire où se trouvait la maison de Paul. Il prétendait ne pas s’en souvenir. Mais cela ne servit à rien. Les légionnaires investirent bientôt les lieux et en firent sortir les occupants. Ils étaient nombreux, près d’une centaine. Par comble de malchance, on était un dimanche, ils étaient en train de célébrer leur culte hebdomadaire ; toute la communauté chrétienne du quartier était prise au piège.
Lucius essaya de se faire aussi discret que possible, mais tous le virent, tous le reconnurent et détournèrent les yeux avec mépris. Et puis, ce fut au tour de Délia de sortir de la maison entre deux soldats. Leurs regards se croisèrent. Une horreur sans nom se lut dans celui de la jeune femme. Elle tressaillit de tout son corps et se prit la tête dans les mains. Lucius se précipita. Elle leva vers lui un visage où coulaient déjà les larmes.
— C’était cela, l’Ombrie ?
— Écoute-moi. Il faut que je t’explique !
— Ce n’est pas la peine, j’ai compris. Tu es un homme de parole, Lucius.
— Ne te moque pas de moi !
— Je ne me moque pas de toi. Tu m’as dit que je saurais tout la prochaine fois que nous nous verrions. Je sais tout.
— Délia…
Mais il ne put rien ajouter. Les soldats s’étaient saisis d’elle et l’emmenaient avec les autres.
Les prisons n’étaient pas nombreuses à Rome, l’incarcération ne faisant pas partie du système pénal romain. Les seules sanctions étaient les amendes, les châtiments corporels comme le fouet et, bien sûr, la peine de mort. Dans ces conditions, les prisons ne servaient qu’à abriter les personnes en attente de leur jugement, elles n’étaient que des lieux de passage. La plus importante d’entre elles, la prison Mamertine, ou Tullianum, était creusée dans des
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