l'incendie de Rome

Tigellin qu’il a commencé.
    Du coup, ce fut contre le préfet du prétoire que la population se déchaîna. On l’accusait unanimement d’avoir incendié lui-même sa propriété pour aggraver le désastre.
    — Cela n’a rien d’étonnant, il est pire que son maître !
    — C’est son âme damnée !
    Lucius profita de ce qu’on ne faisait plus attention à lui pour s’éclipser et regagner le Vatican… En chemin, il entendit d’autres anecdotes, toutes plus sinistres les unes que les autres, au sujet de l’empereur. On aurait dit qu’elles poussaient dans la ville comme des plantes vénéneuses. Un jour, en entendant citer le proverbe grec : « Après ma mort, que le feu dévore le monde », il aurait répondu : « Non, je tiens à voir cela de mon vivant. » Il aurait fait souvent observer que Priam était un heureux homme d’avoir vu flamber Troie au moment où son règne s’achevait. Bref, parce qu’il avait commis la faute de chanter sa douleur sur la terrasse de sa villa, Néron était devenu le prince le plus monstrueux que Rome ait connu.
     
    Débordé de travail et, de surcroît, très affecté par l’incendie de sa propriété, qu’il venait d’apprendre, le préfet du prétoire avait donné l’ordre qu’on ne le dérange pas. Cela n’empêcha pas Lucius de forcer tous les barrages pour le retrouver. La nouvelle qu’il avait à lui annoncer était plus grave que tout. Effectivement, lorsqu’il l’apprit, Tigellin resta un long moment sans voix. Il finit par émerger de sa stupeur :
    — Tout cela uniquement parce qu’il a chanté ? C’est incroyable !
    — Il fallait au peuple un coupable. Le sort a voulu que ce soit lui.
    Tigellin reposa la question qu’il avait posée la veille :
    — D’après toi, une émeute est à craindre ?
    — Elle a peut-être commencé…
    — Je vais envoyer la troupe dans les rues. Il n’y a pas un instant à perdre.
    Il donna ses ordres et pria Lucius de poursuivre. Celui-ci décida de ne rien lui cacher :
    — Je suis au regret de te dire que tu n’es pas épargné. Ils t’accusent t’avoir incendié toi-même ta maison. Ils t’appellent son âme damnée.
    — Cela va si loin que cela ?
    — Malheureusement.
    — En tout cas, nous allons essayer de cacher la situation à l’empereur. Je ne sais pas comment il réagirait. Nous lui apprendrons tout quand nous serons venus à bout de l’incendie.
     
    Ce fut le troisième jour avant les calendes d’août (6) , au matin, que les vigiles se rendirent enfin maîtres du sinistre. Il avait duré dix nuits et neuf jours. C’était l’heure du bilan et il était catastrophique. Sur les quatorze régions de la ville, trois avaient entièrement brûlé, sept avaient été fortement endommagées et seules quatre avaient été épargnées.
    Une grande partie de la Rome monumentale était anéantie. Des édifices et des temples prestigieux avaient à jamais disparu, parmi lesquels le palais impérial, dont il ne restait plus que des gravats. On évaluait à dix mille le nombre d’immeubles détruits, auxquels il fallait ajouter plusieurs centaines de maisons individuelles. On comptait environ deux cent mille sinistrés, qui allaient devoir attendre des mois avant de retrouver un logement. Quant au nombre des victimes, il n’avait pu être calculé avec certitude ; elles étaient, selon le mot qu’avait employé le préfet des vigiles Flavius Sabinus, innombrables.

12
Les ennemis du genre humain
    L’incendie de Rome était terminé depuis deux jours. Non seulement la canicule et le sirocco avaient cessé, mais il pleuvait, d’une grosse pluie d’été qui aurait tout éteint si elle était tombée un peu avant. À présent, elle semblait narguer tout le monde en redoublant d’intensité, alors qu’elle était inutile.
    L’atmosphère était sinistre dans la résidence impériale du Vatican, d’autant qu’une conversation dramatique avait lieu entre Tigellin et Néron. Le préfet du prétoire avait décidé de révéler enfin à l’empereur les accusations que portait le peuple. L’autre préfet, celui des vigiles, était là, mais Lucius n’avait pas été convié à cette réunion… Tigellin rassembla tout son courage et prononça la phrase fatidique :
    — Je ne peux pas te le cacher plus longtemps, César, les Romains disent que c’est toi l’auteur de l’incendie.
    L’empereur