L'inconnu de l'Élysée
1994, dans l'avion qui conduisait une délégation française aux funérailles de Félix Houphouët-Boigny, Giscard, qui disposait d'une cabine présidentielle juste derrière celle de François Mitterrand, était venu lui parler : « Il m'a dit que, comme il rédigeait ses mémoires, il avait l'accord du président pour que je lui raconte l'entrevue entre Chirac et lui-même qui avait eu lieu chez moi avant les élections de 1981. Personnellement, j'ai toujours été en très bons termes avec Chirac – nous avions monté ensemble, avec succès, des stratégies pour mieux défendre les intérêts de la France au Parlement européen où nous avions été élus en 1979. Il m'est impossible de considérer Chirac comme un adversaire, tant il est gentil et courageux 4 .
« Mais Giscard, souriant, me fixait de ce regard perçant qu'on lui connaît. L'histoire de cette entrevue secrète entre Chirac et Mitterrand avait été murmurée dans Paris. Je l'avais toujours niée. Il s'agissait en l'occurrence d'un dîner organisé par Jean de Lipkowski à mon domicile… »
Peu avant les élections de 1981, c'est ce dernier, qu'Edith Cresson connaît depuis toujours, qui lui a suggéré une telle rencontre. Ils sont convenus d'une date, et c'est ainsi que son mari, Lipkowski, Chirac, François Mitterrand et elle se retrouvent à dîner. Edith s'est occupée de la cuisine et a confié le service à Luisa, arrivée chez elle vingt ans auparavant et qui est devenue pour elle une amie.
« À l'issue du repas, Chirac et Mitterrand ont eu un très long tête-à-tête dans le salon alors que mon mari était reparti travailler dans sa chambre et que Jean me tenait compagnie dans la cuisine. Après environ deux heures, nous nous sommes de nouveau réunis, puis ils sont partis séparément. Il est plaisant de songer à ce qu'ont pu se dire ces deux hommes qui, l'un après l'autre, auront la charge du destin de la France. Ce dîner a-t-il eu une influence sur le résultat des élections ? »
À cette question, Edith Cresson répond en se disant convaincue que Mitterrand devait les gagner : « La base du RPR était violemment opposée à Giscard qui avait trahi de Gaulle et, à droite, la consigne circulait de voter Mitterrand. À partir du moment où Mitterrand et Chirac souhaitaient avoir une entrevue et où je pouvais offrir le lieu propice, je devais l'organiser. Indépendamment du fait que je souhaitais la victoire du candidat socialiste, je considérais qu'il en allait de l'intérêt de la France. »
Mais, dans l'avion présidentiel qui rentre en février 1994 de Yamoussoukro sur Paris, Giscard, en gésine de ses futurs mémoires, attend la réponse d'Edith Cresson : « Je lui dis donc que j'ignorais absolument ce dont il voulait parler. Quelques minutes plus tard, je demandai à Mitterrand s'il était vrai qu'il lui eût donné son accord pour venir m'interroger. Il répondit non, en souriant. C'était donc un coup de bluff ! »
En confrontant ces témoignages, il est déjà loisible de poursuivre la critique du témoignage de Giscard. Lequel, sur le même sujet, avait déjà tenté un autre coup de bluff en faisant tenir à François Mitterrand des propos qu'il n'avait pas émis.
Giscard prétend par ailleurs que François Mitterrand lui aurait affirmé que c'est Chirac qui était à l'origine de l'entrevue, alors qu'Edith Cresson parle d'une initiative de Jean de Lipkowski (proche à la fois de l'un et de l'autre) acceptée par les deux hommes.
Il existe d'autres raisons de mettre en doute les paroles attribuées par Valéry Giscard d'Estaing à François Mitterrand. Signalons qu'à l'époque où se tint le fameux dîner Jacques Chirac n'avait pas encore décidé d'être candidat. Sans pouvoir à l'évidence en apporter la preuve, les proches de François Mitterrand sont on ne peut plus sceptiques sur le contenu du témoignage qui lui est prêté post mortem . Christiane Dufour se montre la plus catégorique : « Il est impossible que François Mitterrand ait tenu à Giscard de tels propos. » Je puis ajouter qu'ayant enquêté sur les rapports entre Chirac et Mitterrand durant la période qui court de l'été 1994 au mois de mai 1995, j'ai du mal à imaginer le second donner au premier un tel coup de pied de l'âne, alors même qu'il lui avait fait parvenir de nombreux petits signes d'encouragement dans sa course à l'Élysée 5 .
Last but not least , Giscard fait dire à Mitterrand : « Et je n'ai été
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