L'inconnu de l'Élysée
élu que grâce aux 550 000 voix que m'a apportées Jacques Chirac au deuxième tour. Vous n'avez qu'à regarder les chiffres. Sans ces 550 000 voix qui ont changé de camp, je ne pouvais pas être élu. » Difficile de croire que François Mitterrand ait pu se livrer à une analyse aussi biaisée, lui qui était si fin politologue. Si on additionne en effet toutes les voix recueillies par la droite au premier tour (VGE, Chirac, Debré et Garaud), on arrive au score de 14,3 millions. Or, au deuxième tour, Giscard a non seulement fait le plein des voix de droite, mais il en a encore gagné quelque 300 000 pour parvenir au chiffre de 14,6 millions. Quant à François Mitterrand, non seulement il a fait le plein des voix de gauche, mais il a encore gagné 1,2 million de voix prises pour l'essentiel sur les abstentionnistes qui ont alors voté en masse. Des abstentionnistes qui, par définition, n'étaient pas des militants et étaient donc insensibles à d'éventuelles consignes de l'état-major du RPR.
Pour toutes ces raisons, je suis donc plus enclin à ajouter foi au démenti formel de Jacques Chirac qu'à la « preuve » bien tardive apportée par Giscard : « Je n'ai jamais tenu à Mitterrand les propos que Giscard met dans la bouche de Mitterrand, affirme l'actuel président. Je ne lui ai jamais dit : “Il faut que l'on se débarrasse de Giscard”, c'est absolument faux ! » Et, à propos de l'histoire telle que la rapporte Edith Cresson : « La seule chose qui est excessive, ce sont les deux heures que je serais censé avoir passées avec Mitterrand. Je ne suis pas resté deux heures avec lui. Je me connais : une heure, à la rigueur. Je connais aussi Mitterrand : on n'est certes pas resté deux heures ensemble ! »
Le président revient sur ce sujet qui, manifestement, lui tient beaucoup à cœur :
« C'était un dîner pour faire connaissance, mais ce n'est pas mon genre de dire à Mitterrand que je vais le soutenir ou lui demander qu'il me débarrasse de Giscard ! Nous avons parlé tranquillement. François Mitterrand était un homme très subtil, pas le genre à me demander de le soutenir. Ce n'était pas davantage dans ma mentalité que de monter avec lui une combinaison pour faire un croche-pied à Giscard. Il n'y a pas eu de complot. Nous avons émis des considérations générales sur la France… C'est vrai que je n'avais pas d'estime pour Giscard, mais je n'allais pas pour autant prendre position contre mon propre camp. »
Si je ne crois pas que Chirac ait fait perdre Giscard en fomentant, plus de six mois avant les élections, un complot démoniaque, je suis en revanche convaincu que la lutte fratricide entre les deux hommes depuis 1976 explique pour une large part la défaite de la droite dont Giscard portait les couleurs au second tour. Auparavant, aux législatives comme aux européennes, Chirac, blessé par Giscard, n'avait pas cessé de cogner contre lui. Avant d'avoir décidé de se présenter à la présidentielle de 1981, il déclarait le 22 octobre 1980 : « Si l'on veut changer de politique, ou il faut changer de président, ou il faut que le président fasse l'effort de changer lui-même », tout en laissant ensuite entendre que la première des deux solutions avait sa préférence. Mais quand il dit « Il faut changer de président », il ne pense pas alors à François Mitterrand, mais à lui-même !…
Quelques mois plus tard, après une campagne reaganienne sur le thème de la réduction de la pression fiscale, il recueille trois millions de voix de moins que Giscard au premier tour. Au vu de ces résultats, il est conforté dans l'idée que le président sortant est cuit – ce qui ne lui cause pas un vif déplaisir ! – et qu'il n'est donc pas la peine de se mouiller ni de mouiller un RPR remonté comme une pendule contre Giscard, alors même qu'il va falloir le mobiliser pour les prochaines législatives qu'il croit pouvoir remporter. Malgré les conseils pressants d'Édouard Balladur – le nouveau conseiller qui a pris la place du couple Juillet-Garaud –, il refuse donc de faire une déclaration appuyée en faveur de Giscard : « Il n'y a pas lieu à désistement, observe-t-il. Le 10 mai, chacun devra voter selon sa conscience. À titre personnel, je ne puis que voter Valéry Giscard d'Estaing. » Un engagement minimal qui sera interprété par beaucoup de militants RPR comme une autorisation à voter Mitterrand.
Malgré l'invitation
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