L'inconnu de l'Élysée
Chirac, âgé de 46 ans, semble terminée. Les Français ont alors une très mauvaise image de lui. Un sondage publié par L'Express une quinzaine de jours avant les élections européennes montre qu'ils le trouvent ambitieux, autoritaire ; surtout, 51 % estiment qu'il ne ferait pas un bon président de la République.
Il lui reste néanmoins un parti et la mairie de la capitale où, loin des questions de programme ou d'idéologie, il s'emploie à aider les Parisiens. Car, s'il est un guerrier politique, il n'a pas perdu pour autant son goût des autres. L'expression dût-elle surprendre, il y a chez lui un « appétit de servir », comme il a tenté de me le dire, conscient que son propos pouvait paraître à beaucoup difficilement crédible. Après lui avoir tendu la perche en l'interrogeant sur cet « appétit d'autrui », l'un des moteurs de son engagement politique, il laissa planer un très long silence avant de répondre.
« C'est un peu ridicule à dire, mais, d'une façon ou d'une autre, oui, c'est servir. Je le dis avec modération, mais je crois que chacun doit essayer de servir à la place qu'il occupe. Ce doit être ça : j'ai toujours voulu servir. Quand j'étais militaire, j'ai souhaité servir. En différentes circonstances, j'ai essayé de servir. En politique, on a des satisfactions, des enthousiasmes, mais, en définitive, on se plaît à servir. J'ai servi ma circonscription corrézienne, j'ai essayé de faire des choses pour servir Paris. Pas des choses extraordinaires, mais enfin : la seconde fois, si j'ai gagné dans tous les arrondissements, ça veut dire que les gens n'étaient pas si mécontents… »
1 L'Autre Chirac , op. cit.
2 Lire à ce sujet, Pierre Péan, Vies et morts de Jean Moulin , Fayard, 1998.
3 L'Autre Chirac , op. cit.
4 Jean-François Probst, Chirac et dépendances , Ramsay, 2002.
21.
Le fameux dîner Chirac-Mitterrand
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins…
L a F ontaine
Valéry Giscard d'Estaing qui, un quart de siècle après avoir été vaincu par François Mitterrand, n'a toujours pas digéré sa défaite, l'impute à Jacques Chirac et vient enfin d'apporter, dans le troisième tome de ses mémoires 1 , la preuve du complot ourdi contre lui. Une preuve que lui aurait offerte François Mitterrand vingt-six jours avant de mourir. « Il faut nous débarrasser de Giscard ! » aurait déclaré, Jacques Chirac à François Mitterrand au cours d'un tête-à-tête entre les deux hommes, à l'issue d'un dîner avec Edith Cresson en octobre 1980.
Laissons donc courir la plume de Giscard telle qu'il prétend l'avoir laissée filer sur la page blanche au soir du 15 décembre 1995, après sa rencontre, rue Frédéric-Leplay, avec un Mitterrand quasi agonisant.
« … Ma voiture s'est arrêtée au bord du large trottoir et je me suis avancé vers la porte de l'immeuble. À mon étonnement, François Mitterrand, très fatigué, soutenu par un infirmier, est venu m'attendre dans l'antichambre de l'immeuble. Il a tenu sans doute à se conformer à l'usage qui veut qu'on vienne accueillir un chef d'État, ou un ancien chef d'État, à l'entrée de son domicile, car il est très attaché au respect de certaines règles. Il avait été prévenu par téléphone de l'imminence de mon arrivée. Nous montons tous les deux par l'ascenseur qui contient difficilement plus de deux personnes. »
L'infirmier les ayant rejoints par l'escalier, François Mitterrand l'interroge : « Est-ce que nous descendons ? »
« Pas de réponse de l'infirmier, qui le guide vers la porte de l'appartement. Il s'efface pour me laisser passer, reprend VGE. Dans son bureau, qui me paraît être aussi sa chambre, il s'installe dans un fauteuil bas qui a l'allure d'un fauteuil de repos médical, où il s'allonge à moitié. »
Avant de poursuivre la lecture de ce témoignage, arrêtons-nous quelques instants sur la mise en scène de la révélation mitterrandienne telle que la propose Giscard. Christiane Dufour, une des secrétaires de François Mitterrand, qui travaillait alors rue Frédéric-Leplay, a des souvenirs qui ne coïncident pas du tout avec ceux du mémorialiste : « C'est moi qui lui ai ouvert la porte et l'ai d'abord fait monter dans mon bureau. Il est resté avec moi une dizaine de minutes et je l'ai introduit ensuite dans le bureau de François Mitterrand. Les deux anciens présidents sont restés en tête à
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