L'inconnu de l'Élysée
cela. Je ne suis pas sûr que je le dirais encore aujourd'hui. Dans les années 70, je me suis passionné pour le Moyen Âge – vous savez, on a toujours de ces passions successives –, je courais les antiquaires, j'ai même acheté quelques meubles de haute époque… (Rire.) Non, je ne suis pas sûr que je déclarerais la même chose aujourd'hui. Cela étant, il y a eu à cette époque, sur le plan culturel, une forme d'affirmation nationale indiscutable, déjà assez française, que l'on retrouve notamment dans le mobilier et les arts au sens large, c'est-à-dire en y incluant les équipements et ornements religieux. Mais il y avait par ailleurs bien des inconvénients…
Plus étonnants, ses commentaires sur Napoléon, toujours dans La Lueur de l'espérance : « En allant plus loin dans la voie des confidences, jusqu'aux confins de l'inavouable, j'ai de la sympathie pour ce temps où le Code civil s'exprimait dans une langue plus belle et assurément plus précise que celle de nos hommes de lettres… »
– C'est indiscutable… Depuis mon plus jeune âge, j'ai été un admirateur de l'épopée napoléonienne. C'est un personnage qui devait avoir des défauts colossaux, mais également doté d'un génie stupéfiant et qui exprimait les choses on ne peut plus clairement. Ce n'est pas un hasard s'il a conçu et fait élaborer le Code civil. C'est qu'il avait ce don qui lui permettait de concevoir et de s'exprimer avec aisance et clarté. C'est la raison pour laquelle il pouvait dicter plusieurs choses à la fois. À l'époque il n'y avait pas de sténos… En dehors de cela, il a commis toutes sortes de fautes… C'est également lui qui a poussé les Juifs à s'organiser : il les a réunis dans le sous-sol de l'hôtel de ville de Paris et leur a dit : « Vous en sortirez quand vous serez organisés… » Il fallait le faire, et les Juifs peuvent lui dire merci, car ils étaient jusque-là à se disputer sans arrêt ! Ils en sont sortis organisés.
Quelques minutes plus tard, Jacques Chirac complète ainsi son jugement sur Napoléon : « La France n'a pas été grande pendant la campagne de Russie. Elle n'a jamais été grande quand elle s'est livrée aux excès. Elle n'a été grande que lorsqu'elle a porté un message d'ouverture, de tolérance et de compréhension des autres. » Cette dernière phrase claque comme une profession de foi ou une sorte de testament que je lui ai déjà entendu décliner à de nombreuses reprises. Dans le cours de nos entretiens, il est cependant encore un peu tôt pour parler de l'après et de la façon dont les Français jugeront de ses mandats, mais…
– Qu'est-ce que les Français retiendront de vos mandats ? Qu'est-ce que vous voudriez qu'ils en retiennent ?
– Ce sont là deux questions différentes. Ce qu'ils en retiendront, je n'en sais rien. Je ne suis pas d'un tempérament foncièrement vaniteux. Ce que je souhaiterais qu'ils retiennent, c'est que, contrairement aux apparences qu'elle donne à certains moments et pour certains aspects de son histoire, la France est un pays – s'efforce d'être un pays – de tolérance. Tel est son génie propre, et quand elle s'en tient à cette idée forte, c'est alors qu'elle est grande. Quand elle ne la respecte pas, là, elle se rapetisse. Voilà tout ce que je voudrais qu'on retienne… Il y a toujours quelque chose de bon à prendre chez quelqu'un. C'est une réalité : le dialogue est inhérent à la nature humaine. Au fond, lorsque les premiers hominidés sont devenus des bipèdes, leur colonne vertébrale s'est redressée, leur cou aussi, leur larynx s'est formé, et ça a donné la voix, donc l'échange. Voilà ce qui caractérise l'homme : sa capacité d'échanger. Certes, on peut échanger pour le meilleur ou pour le pire, et il faut essayer de faire en sorte que ce soit pour le meilleur…
Comme dans un cri, le président termine par :
– … Je déteste l'intolérance !
– Vous espérez donc, sans le dire explicitement, que les Français retiendront de vos actions qu'elles ont incité la France à devenir davantage un pays de tolérance ?
Long temps mort.
– J'ai essayé d'y contribuer. Sur le plan international, j'ai toujours défendu le dialogue, le respect des autres, notamment de la culture de chacun. En France, j'ai toujours condamné ce qui, dans notre histoire ou nos comportements, s'est traduit par le rejet, la ségrégation, l'intolérance… Ce qu'on a fait pendant la
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