L'inconnu de l'Élysée
guerre à l'égard des Juifs, mais envers d'autres aussi, c'est quelque chose que je ne conçois pas comme pouvant émaner d'un esprit humain. À l'époque où j'ai prononcé mon discours au Vel' d'Hiv' sur la responsabilité de l'État français, on m'a remontré que j'avais tort de le faire, car le général de Gaulle s'en était gardé par respect pour la France… Ça ne m'est même pas venu à l'idée de ne pas le faire. C'était vraiment l'expression de ce que j'estimais être la France. La France ne peut pas être complice de ce genre de choses, elle doit donc les dénoncer…
– Vous avez multiplié les discours pour stigmatiser certains agissements de la France…
– C'est parce qu'on a commis des erreurs, des fautes… C'est normal qu'à un moment ou à un autre, on les assume…
– Il vous est donc égal de vous entendre reprocher d'avoir un goût un peu trop prononcé pour la repentance…
– Ça m'est complètement égal… Je ne suis pas un larmoyant, j'assume notre histoire ; mais il faut reconnaître les choses, ne serait-ce que pour ne pas être tenté de les rééditer. Il faut porter un regard lucide sur son histoire dans ce qu'elle a de grand et dans ce qu'elle a de moins grand. Qu'on le veuille on non, l'esclavage a été un moment tragique de l'histoire du monde, et nous y avons pris parti. Eh bien, il faut le reconnaître. C'est comme cela aussi que chacun peut reconnaître que la République a toujours été exemplaire face à l'esclavage. Elle l'a aboli à deux reprises. En regardant en face notre histoire, celle-ci en sort d'autant plus forte.
1 En accord avec l'argumentation du général de Gaulle, reprise et argumentée par François Mitterrand, je n'avais pas approuvé, à l'époque, cette reconnaissance que je pouvais par ailleurs comprendre.
2 Discours tenu le 16 juillet 1995.
3 Voir le discours intégral en fin d'ouvrage.
4 Jacques Chirac, Paris, 23 juin 2005.
5 Relaté dans la première partie.
6 Comme, par exemple, dans La Lueur de l'espérance , op. cit.
26.
Où l'on voit resurgir,
après le choc du 11 septembre,
l'obsession de Chirac :
le dialogue des cultures
La boîte à outils de Jacques Chirac, résultat d'une culture atypique, renferme une clé à usages multiples : le « dialogue des cultures », parfaitement adaptée à ce début du xxi e siècle qu'on s'attendait à être celui de la paix mondiale et qui est, pour l'heure, celui des dégâts collatéraux de la mondialisation, de la montée des frustrations provoquées par l'arrogance de l'hyperpuissance américaine, du développement de tous les intégrismes et donc de toutes les terreurs… Toute son action axée sur l'extérieur est cohérente avec le « Chirac intime ».
Dans les minutes qui ont suivi la première attaque terroriste contre une tour du World Trade Center, le 11 septembre 2001, Jacques Chirac a manifesté sa solidarité et celle de la France avec les États-Unis. Il était à Rennes et devait prononcer un important discours à la tribune de la Faculté des métiers, Ker Lann, discours qu'il a remplacé au pied levé par quelques mots pour s'excuser de devoir rejoindre immédiatement son bureau de l'Élysée : « C'est en effet avec une immense émotion que la France vient d'apprendre ces attentats monstrueux – il n'y a pas d'autre mot – qui viennent de frapper les États-Unis d'Amérique. Dans ces circonstances effroyables, le peuple français – je tiens à le dire ici – tout entier est aux côtés du peuple américain. Il lui exprime son amitié et sa solidarité dans cette tragédie. J'assure naturellement le président George W. Bush de mon soutien total. La France a, vous le savez, toujours condamné et condamne sans réserve le terrorisme, et considère qu'il faut lutter contre le terrorisme par tous les moyens. »
Jacques Chirac a sauté ensuite dans son avion et, dès son arrivée à l'Élysée, a convoqué un Conseil interministériel sur la sécurité, avec notamment Lionel Jospin, Hubert Védrine et Alain Richard. Il a pris aussitôt contact avec des proches de George W. Bush, puis avec Tony Blair et Gerhard Schröder. Il a également appelé Jean-Daniel Levitte, l'ambassadeur de France auprès des Nations unies, pour lui demander d'élaborer avec les Américains et les autres alliés une résolution à soumettre au Conseil de sécurité. Dès le lendemain, la résolution 1368 assimilait un acte de terrorisme à un acte de guerre, et reconnaissait ainsi
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