L'inconnu de l'Élysée
« Est-ce que vous pouvez me dire ce qu'on va mettre à la place ? » Il insiste sur le danger d'éclatement de l'Irak, d'une « perturbation dans la région, avec les chiites majoritaires à Bagdad et à Téhéran, d'autant qu'il y a les Alaouites à Damas. Il faut imposer à Saddam Hussein toutes les exigences du Conseil de sécurité, mais éviter de jouer avec le feu… » C'est pour cela, au nom de la sagesse, que j'émets les plus extrêmes réserves sur l'automaticité du recours à la force.
« I appreciate your remarks » , commente George W. Bush.
Bush réaffirme ensuite que son option à lui est le départ de Saddam Hussein : « Comment le convaincre ? J'ai le même souci que vous sur l'après-Saddam, mais personne ne peut être pire. On tient à travailler avec vous pour être sûr que l'Irak n'éclatera pas après Saddam Hussein. » Et le président américain de tenir des propos… désarmants sur le processus en deux temps proposé par Jacques Chirac : « Finalement, je crois que les deux temps sont : un, il désarme ; deux, on le désarme… Saddam Hussein s'est moqué de tout le monde. »
Le président français reprend patiemment.
« On est en train de jouer avec le feu dans cette région, une région où on a été incapable de ramener la paix et où le sentiment anti-occidental est très fort. Nous paierons cela très cher. Nous devons désarmer l'Irak, poser des conditions draconiennes, mais si nous disons dès maintenant qu'on l'attaquera, on le renforcera dans sa tentation de résister au monde entier… »
Il explique une nouvelle fois les conséquences d'une attaque dirigée contre l'Irak : l'éclatement du pays et la constitution d'un axe Bagdad-Téhéran-Damas. « Bien sûr, nous gagnerions la guerre, mais les conséquences seraient encore plus graves que la situation d'aujourd'hui. »
Nouveau coup de fil entre Bush et Chirac, le 8 octobre. Chacun répète les mêmes arguments. Le président français déclare être ouvert à la discussion, mais ne veut pas entendre parler d'automaticité du recours à la force.
Jusqu'au dernier moment, d'intenses tractations ont ainsi lieu entre Washington et Paris. La position française agace. Les signes de cet agacement sont perceptibles dans la presse américaine qui n'hésite pas à relayer de fausses informations provenant de la CIA, selon lesquelles la France aurait fourni à l'Irak, en 1998, des détonateurs destinés à équiper des armes nucléaires 7 , et posséderait des souches (interdites) de la petite vérole, tout comme la Russie, l'Irak et la Corée du Nord 8 .
Le 7 novembre, à la veille du vote du Conseil de sécurité, après des contacts tous azimuts entre tous les protagonistes, et après que Dominique de Villepin et Colin Powell se sont mis d'accord sur le texte de la résolution à adopter – celle-ci ne prévoit pas de recours automatique à la force –, George W. Bush rappelle Jacques Chirac, lequel, de retour d'un sommet franco-italien, vient d'atterrir à Orly et se trouve encore dans son avion. Les deux hommes sont d'accord pour essayer d'obtenir l'unanimité au Conseil de sécurité pour le vote du lendemain.
La résolution 1441 est en effet adoptée à l'unanimité. Jacques Chirac a réussi à convaincre Bachar al Assad, le président syrien, de la voter, ce à quoi n'étaient pas parvenus les Américains. Les inspecteurs du désarmement, partis en 1998, nantis cette fois d'une mission et de pouvoirs étendus, vont donc pouvoir revenir en Irak. Rappelons que de 1991 à 1998, lesdits inspecteurs avaient neutralisé plus d'armes que la guerre n'en avait détruit. Hans Blix et Mohamed El Baradei, patron de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), se mettent immédiatement au travail et ne rencontrent pas d'obstacles, les autorités irakiennes ne faisant certes pas de zèle, mais obtempérant aux demandes des inspecteurs de l'ONU.
Le 21 novembre 2002, Bush et Chirac se rencontrent à un sommet exceptionnel de l'OTAN réuni à Prague. Une nouvelle fois, le président français, qui sait parfaitement que les États-Unis continuent leurs préparatifs belliqueux, met le président américain en garde contre les conséquences d'une guerre aussi bien pour l'Irak que pour le devenir de la région. Provoquant, il lui lance : « Vous allez créer des bataillons de petits Ben Laden ! »
Des missiles sont trouvés en Irak et démantelés par les inspecteurs. « On était dans un
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