L'inconnu de l'Élysée
qui prônent une Europe indépendante des États-Unis.
La mécanique américaine s'emballe. Le 5 février 2003, au siège de l'ONU, Colin Powell déploie force diapositives, photos, comptes rendus d'écoutes téléphoniques, censés montrer que l'Irak dissimule des drones susceptibles d'asperger « ses voisins et même d'autres pays, dont les États-Unis », de germes bactériologiques, et révèlent des mouvements suspects de camions… Bref, selon lui, l'Irak roule les inspecteurs dans la farine. Les services de renseignement français mettent en doute les « preuves » apportées par Colin Powell. La DGSE, qui a procédé rapidement à l'analyse de la prestation du responsable du Département d'État, estime qu'il n'y a là rien de nouveau, aucune preuve objective. Le plus inédit serait, si elles venaient à être confirmées, les manœuvres de dissimulation dénoncées à partir de photos-satellites. « Toutefois, ça ne suffit pas », stipule la note. À propos des liens de l'Irak avec Al-Qaida, via Zarkaoui, Powell s'appuie sur des confidences de détenus. La DGSE connaît ces confidences, mais n'en tire pas les mêmes conclusions. Sur la volonté irakienne de se doter de l'arme nucléaire, les services français partagent en partie l'analyse américaine, mais soulignent là encore l'absence de preuves. Les services français ne sont absolument pas certains que les tubes d'aluminium achetés par l'Irak soient destinés à son industrie nucléaire.
Le 6 février, le président américain, dans le droit fil de la démonstration de Colin Powell, qui a fait grosse impression, s'adresse à Saddam Hussein pour lui faire savoir que « the game is over » .
Le 7 février à 17 heures, Jacques Chirac appelle Bush. Une fois de plus, il lui remontre que la guerre est encore évitable, que les inspections donnent de bons résultats et qu'il faut les poursuivre.
« Merci, Jack, vous êtes un homme cohérent, j'apprécie cela. Moi non plus je n'aime pas la guerre, mais il est très important que vous sachiez que Saddam Hussein constitue une menace directe pour le peuple américain. »
Après cette phrase massue, Chirac sait qu'il n'arrivera pas à convaincre l'Américain, et pense déjà à l'après-guerre :
« Il faudra que l'on se retrouve, lâche-t-il.
– Merci. Nos analyses sont différentes.
– Je persiste dans la mienne… »
Chirac recommence malgré tout à exposer tous les arguments pour ne pas faire la guerre. Puis il termine à son tour par : « Bref, nous avons deux approches différentes. Respectons-nous. »
Pendant neuf semaines, jusqu'au 15 avril 2003, les deux hommes ne se téléphoneront plus, mais l'Administration américaine recourra néanmoins à tous les moyens pour contraindre le président français à changer d'avis, notamment la propagation de rumeurs : « La CIA a même essayé d'expliquer, dit-il, que j'avais probablement été acheté par Saddam. Je n'ai pas bougé d'un iota. J'ai répété qu'ils s'engageaient dans une opération qui allait inéluctablement se traduire par l'explosion de l'Irak, préjudiciable à tout le monde, et que la guerre civile n'est jamais une solution pour personne. C'est exactement ce qui est en train de se passer. »
Isolé en Europe, le couple franco-allemand reçoit un renfort important, en l'occurrence celui de Vladimir Poutine. Le lundi 10 février, Jacques Chirac reçoit le président russe après que celui-ci eut rendu visite à Gerhard Schröder en Allemagne. Malgré les énormes pressions des Américains et de leurs alliés européens, les trois dirigeants n'en démordent pas : s'appuyant sur Kofi Annan, ils entendent rester dans le cadre de la résolution 1441 pour désarmer l'Irak. « Les inspections menées par l'ONU et par l'AIEA ont déjà produit des résultats. La Russie, l'Allemagne et la France sont favorables à la poursuite des inspections et au renforcement substantiel de leurs capacités humaines et techniques par tous les moyens et en concertation avec les inspecteurs, dans le cadre de la résolution 1441. Il y a encore une alternative à la guerre. L'usage de la force ne pourrait constituer qu'un ultime recours. La Russie, l'Allemagne et la France sont déterminées à donner toutes ses chances au désarmement de l'Irak dans la paix », explique le communiqué commun. Ce soutien de Schröder et de Poutine est évidemment de la plus haute importance pour Jacques Chirac, la Russie étant membre permanent du
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