L'inconnu de l'Élysée
une guerre contre l'Irak.
Jacques Chirac considéra d'emblée cette doctrine comme « extraordinairement dangereuse », pouvant avoir des « conséquences dramatiques » : « Une action préventive peut être engagée si elle apparaît nécessaire, mais elle doit l'être par la communauté internationale qui, aujourd'hui, est représentée par le Conseil de sécurité des Nations unies 3 . » Durant l'été 2002, les renseignements parvenant à Paris suggéraient que Bush ne se contenterait pas d'une résolution du Conseil de sécurité refusant à l'Irak la détention d'armes de destruction massive, mais voudrait très probablement renverser Saddam Hussein.
Pendant neuf mois, jusqu'au début de l'intervention des GI's en Irak soutenue par Blair, Berlusconi, Aznar et quelques leaders en mal de reconnaissance américaine, Jacques Chirac va tout faire pour essayer d'empêcher une nouvelle guerre. Il reste en liaison permanente avec les responsables de la plupart des pays concernés, tout particulièrement avec Kofi Annan, Gerhard Schröder, Vladimir Poutine, Tony Blair et bien sûr avec George Bush. Plus de la moitié de son temps est consacrée à cette cause de la non-intervention en Irak qu'il va s'attacher à défendre au nom des peuples de la planète entière.
J'avais à cœur de parler avec le chef de l'État de ces mois décisifs puisque, sans la reconnaissance que j'éprouve à son endroit pour cette action-là, je n'aurais probablement jamais eu envie de le rencontrer ni d'écrire ce livre.
Le sujet l'inspire, même s'il éprouve, là comme ailleurs, la même difficulté à se « lâcher » complètement. Il rappelle que s'il a connu Saddam Hussein dans les années 70, l'homme, d'après lui, avait beaucoup changé depuis. Bien avant la crise, il pensait que son régime était condamné et s'effondrerait de lui-même « si on conduisait les choses avec habileté ». Il estimait que l'Irak était un pays complexe, extrêmement divisé pour des raisons ethniques et religieuses, mais dont l'unité était essentielle à l'équilibre du Moyen-Orient : « Il fallait donc s'en préoccuper mais avec précaution, un peu comme on manie un vase de Murano. Mais les Américains ont imaginé de faire tomber Saddam Hussein. J'ai toujours pensé qu'il n'appartenait pas à un pays, quel qu'il soit, de prendre des décisions ayant de telles répercussions internationales, mais que seule l'ONU pouvait le faire. À partir de cette analyse et de ce principe, j'ai dit à Bush de la façon la plus claire qu'il commettait une erreur et que je ne croyais pas du tout à son histoire d'armes de destruction massive disséminées dans le pays. Il y avait certes des armes en Irak, mais assurément pas d'armes nucléaires. »
Le 2 septembre 2002, à Johannesburg, à l'occasion du Sommet mondial sur le développement durable, une rencontre a probablement renforcé la détermination du président français de tout faire pour éviter la guerre. Nicolas Hulot a été le seul témoin de ce tête-à-tête entre Nelson Mandela et Jacques Chirac. À un moment donné, le vieux combattant africain a saisi les poignets du président français, l'a regardé droit dans les yeux et lui a dit : « Vous devez tout faire pour que Bush n'aille pas en Irak ! » « Jacques Chirac était très ému, il était touché au cœur et a pris l'engagement solennel de tout faire pour éviter la guerre », se souvient Nicolas Hulot.
Le 6 septembre à 12 heures 15, Tony Blair appelle Jacques Chirac. Avant de rendre visite à Bush, le Britannique voudrait savoir ce que le Français a dans la tête et s'il serait possible d'envisager d'élaborer une résolution commune à faire adopter par le Conseil de sécurité. Jacques Chirac lui dit être très inquiet de la montée des sentiments anti-américains qui conduisent à une progression parallèle des sentiments anti-occidentaux. S'il partage ses sentiments pour Saddam Hussein, il est convaincu qu'« un acte de guerre serait irresponsable et dangereux sur les plans militaire et international ». Il confie à son collègue que, sur le plan nucléaire, il ne croit pas qu'il y ait le moindre danger immédiat, et parle d'une menace résiduelle à propos des risques inhérents aux armes bactériologiques et chimiques. À cet égard, Jacques Chirac souhaite le renvoi d'inspecteurs en Irak. Il prévient Tony Blair qu'il ne s'associera pas à une attaque unilatérale qui risquerait de faire éclater
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