L'inconnu de l'Élysée
monde entier. Hubert Védrine est probablement un des hommes politiques à connaître le mieux Jacques Chirac, puisque, pendant cinq ans d'affilée, il a eu au minimum une heure de tête-à-tête hebdomadaire avec lui et a effectué avec lui de très nombreux voyages 13 : « Une sorte de sympathie s'est nouée entre nous. Il me parlait très librement, et le climat entre nous était suffisamment confiant pour qu'il m'interroge souvent sur François Mitterrand, sur ce qu'il pensait, sur ce qu'il aurait fait dans telle ou telle situation. Il voulait comprendre la démarche de son prédécesseur, qui était pour lui une référence majeure. » L'ancien ministre des Affaires étrangères dit avoir disposé d'« une liberté très grande » pour mener à bien la politique extérieure, et relève peu de points de désaccord ou de différence d'appréciation 14 . Védrine parle de la relation personnelle forte que le chef de l'État a su nouer avec de très nombreux dirigeants des pays du Sud : « Il y a énormément de gens dans le monde, de dirigeants et de personnalités, dans un très grand nombre de pays, qui le considèrent comme le leader occidental le plus ouvert à leurs thèses. » Et d'expliquer cette ouverture sur le monde en général et sur les pays du Sud en particulier par la connaissance et l'intérêt, décrits ci-dessus dans la partie consacrée au « Chirac intime », qu'il témoigne à de nombreuses cultures ainsi qu'aux peuples premiers. L'ancien ministre de Lionel Jospin n'hésite pas à parler de positions « absolument sincères, qui vont de pair avec sa connaissance de ces cultures ». Il dit à quel point Jacques Chirac n'a rien à voir avec l'homme qu'une large fraction de la presse a présenté comme inculte : « C'est un homme profondément cultivé, vraiment intéressé par tout cela, et en parlant volontiers… Cela lui donne une clé, une intuition dont la plupart des Occidentaux sont aujourd'hui privés 15 . »
Gerhard Schröder qui, à partir de sa réélection en 2002, a travaillé main dans la main avec Jacques Chirac, a lui aussi apprécié le personnage et souligne « sa solicitude, […] l'une des facettes de sa personnalité très riche », son « extraordinaire puits de savoir sur le Proche-Orient, sur l'Asie, sur la Chine en particulier. Il entretient sans relâche son allure de patriarche, son image d'homme d'État – tout à l'idée qu'a d'elle même la grande nation qu'il dirige […]. À mes yeux, Jacques Chirac est l'une des personnalités politiques les plus éminentes du siècle écoulé et de celui qui commence 16 . »
Kofi Annan est probablement l'homme qui est le mieux à même d'émettre un jugement compétent et équilibré sur Jacques Chirac avec qui il a traversé, dix ans durant, les grandes crises qu'a connues le monde. Je l'ai rencontré le 20 novembre 2006 à Genève, au Palais des Nations, alors qu'il avait entamé sa tournée d'adieu. Il me reçoit dans son grand bureau, froid et impersonnel. L'homme est courtois, parle d'une voix à peine audible un très bon français. Je n'ai nul besoin de lui assener une batterie de questions, car il sait manifestement où il va et quel chemin emprunter pour y aller.
« J'ai travaillé très étroitement avec Jacques Chirac depuis dix ans. Évidemment, on ne se connaissait pas, et, au début, la France gardait une certaine réserve à mon endroit, parce qu'elle avait soutenu Boutros Boutros-Ghali, un homme remarquable. La France était écœurée par le traitement qu'avait fait subir à ce dernier les Américains. Jacques Chirac a rapidement compris que j'étais indépendant, et non pas l'homme d'un pays ou d'un groupe de pays ; que j'étais le Secrétaire général pour tout le monde. Ces dix dernières années ont été marquées par de fortes turbulences. Je suis le seul Secrétaire général à avoir eu à traiter d'autant de guerres : Kosovo, Afghanistan, Irak, Liban, Darfour, Congo démocratique, entre autres. Dans toutes ces crises, Jacques a été, parmi les chefs d'État, celui avec qui je pouvais le mieux parler, discuter. Je pouvais certes parler avec d'autres, mais lui connaît le monde, et non seulement il connaît le monde, mais il est très intéressé par le monde extérieur. Et il est profondément informé sur la Chine, l'Afrique, le Moyen-Orient. Pour moi, il est devenu un ami et un collègue avec qui on peut s'exprimer franchement. Il est toujours franc et direct. Parfois même
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