L'inconnu de l'Élysée
pas lieu de faire une guerre pour atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé, c'est-à-dire le désarmement de l'Irak. »
Jacques Chirac expose là aux Français les arguments qu'il assène depuis des mois aux Américains, et notamment « qu'on ne pouvait pas être porteur des valeurs de la démocratie, du dialogue, et ne pas utiliser tous les moyens pour éviter une guerre ». Et il confirme officiellement que si les États-Unis décident de faire la guerre sans mandat de l'ONU, les troupes françaises n'iront pas en Irak. Il parle du « risque d'éclatement de ce pays, avec tout ce que cela comporte comme incertitudes ».
Le 13 mars, les Américains ont compris qu'ils n'auraient pas la majorité au Conseil de sécurité, et renoncent à soumettre leur résolution au vote. Le 16 mars se tient aux Açores un sommet des partisans de la guerre. Dans la nuit du 16 au 17, les fils de fer barbelés marquant la frontière entre le Koweït et l'Irak sont sectionnés. Le 17, un ultimatum de 48 heures est lancé à Saddam Hussein. Dans la nuit du 18 au 19, les troupes de la petite coalition pénètrent en Irak. Le 9 avril, les télévisions du monde entier montrent à Bagdad le renversement de la statue de Saddam Hussein… Ce 30 décembre 2006, le jour où j'écris ces lignes, Saddam Hussein a été pendu à l'aube sur sentence d'un tribunal irakien sous influence américaine. Il est 15 heures 03 et depuis le lever du jour on a déjà dénombré 61 morts et 123 blessés victimes d'attentats. Un jour ordinaire, en somme. 2 998 GI's sont morts depuis mars 2003. Des dizaines de milliers de civils irakiens sont morts – mais de ceux-là, tout le monde se fout ! Et la situation ne fait, ne peut qu'empirer.
Jacques Chirac a pris l'initiative de rappeler Bush, le 15 avril 2003 à 17 heures 45.
« J'ai estimé utile de reprendre contact avec vous, car nous sommes entrés maintenant dans une autre phase… »
Il dit être satisfait de la rapidité avec laquelle Bagdad est tombée. Présente ses condoléances pour les pertes américaines. Se réjouit de la chute de Saddam Hussein, et termine par : « Ce qui est important, maintenant, c'est l'avenir. »
Bush le remercie pour ses condoléances et ajoute qu'il reste beaucoup de travail à faire.
Chirac reprend :
« Plus vite l'ONU pourra être associée à la reconstruction de l'Irak, mieux cela sera… »
Bush le remercie, mais ne fait pas de commentaires sur sa recommandation de réintroduire l'ONU dans le jeu irakien.
Le Jacques Chirac qui me parle aujourd'hui sait que la fin du chaos n'est pas pour demain. En ce mois de décembre 2006, il prévoit de dramatiques turbulences le jour où les Turcs et les Syriens refuseront l'indépendance des Kurdes. Il parle des conséquences probables du sort que les Américains réservent aux sunnites : « Ils sont tout de même trente pour cent, et on leur explique qu'ils n'ont droit à rien ! Ils en deviennent dingues !… Tout cela nourrit le terrorisme. Il faut que les Américains s'engagent à régler le problème israélo-palestinien. Il faut qu'ils prennent la mesure de la Chine qui sera, dans vingt, vingt-cinq ans, la première puissance politique, économique, militaire et démographique. Attention à ce que l'Occident ne paie pas très cher son arrogance actuelle ! » Le président conclut son propos sur les dangers du messianisme en politique et rit… jaune.
« Quel danger pour la planète ! C'est un danger épouvantable. Vous imaginez, ouvrir le Conseil des ministres par une prière ! Je suis tout à fait respectueux de la religion, de toutes les religions, mais enfin, la laïcité a quand même du bon ! »
Si Jacques Chirac n'a pas réussi à empêcher la guerre en Irak, il n'a pas pour autant remisé sa « boîte à outils ». Conscient de l'arrogance de l'Occident, ne suggérait-il pas avec un humour grinçant, dans son interview au New York Times du 8 septembre 2002, de créer une seconde coalition, cette fois contre la pauvreté et pour l'environnement : « Puisqu'on est tous tellement énergiques pour faire la leçon au monde entier, eh bien… » Cette affirmation reflétait un autre aspect du double combat qu'il menait déjà contre l'administration Bush au nom des pauvres de la planète et au nom des défenseurs de la nature. Six jours avant cette interview, accompagné de Nicolas Hulot, il était en effet à Johannesburg au Sommet mondial pour le développement durable
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