L'inconnu de l'Élysée
j'ai écrit et qu'il y a le fascisme quelque part, on se bat contre le fascisme”, direz-vous à Roger Stéphane en 1945 […].
« André Malraux, vous êtes […] aussi un homme passionné par la France telle que, pour vous, l'incarne le général de Gaulle. […] Vous avez dit : “L'aventure n'existe plus qu'au niveau des gouvernements.” Plus tard, vous interrogez avec force : “D'où peut-on le mieux arrêter la guerre d'Algérie ? De l'Hôtel Matignon ou des Deux Magots ?” Et vous dites encore, ministre d'État chargé des Affaires culturelles : “Dans un univers qui est à mes yeux, comme vous le savez, un univers passablement absurde, il y a quelque chose qui n'est pas absurde, c'est ce que l'on peut faire pour les autres.” Y a-t-il plus belle définition de l'action politique ?
« Dans ce ministère qui existe pour la première fois, […] vous rendrez aux Français la conscience de leur patrimoine en lançant l'inventaire des richesses artistiques de la France, en restaurant des monuments essentiels, en changeant la couleur de Paris […]. Mais, surtout, parce que vous aimez partager et que vous rejetez une conception “aristocratique” du savoir, vous inventez les Maisons de la culture, qui sont un acte de foi dans la démocratie culturelle. La culture comme prolongement du rêve de Jules Ferry. La culture comme nouveau droit, pour chaque enfant, pour chaque citoyen. La culture contre la mort… Cette idée, si forte, de “donner à chacun les clés du trésor”, est plus moderne aujourd'hui que jamais, et doit inspirer nos actes […]. La France, avez-vous dit, “n'est jamais plus grande que lorsqu'elle l'est pour tous, lorsqu'elle n'est pas repliée sur elle-même”. »
Afin de vérifier mon intuition sur l'inspiration toute personnelle de ce discours, je me suis mis à le paraphraser en remplaçant dans certains passages le nom de Malraux par celui de mon interlocuteur :
« Si j'écrivais “Le rapport à l'art de Jacques Chirac, qui est sans doute la pierre angulaire de sa vie, n'est qu'une longue interrogation. Dès son adolescence, il court vers le beau, comme s'il était en danger, avide de voir, de comparer, d'imaginer, de trouver son monde…”, est-ce que cela vous semblerait éloigné de la réalité ?
– Cela me paraîtrait flatteur, mais pas éloigné, en effet… Quand je suis arrivé à Paris, j'avais 13-14 ans… À l'époque voyaient le jour les premiers livres d'art moderne accessibles sur le plan financier. J'étais fasciné par les librairies et c'est ainsi que j'ai connu Pierre Seghers… »
Je reprends ma paraphrase de son discours sur Malraux sans lui avouer encore ma supercherie. Je vois qu'il acquiesce à la plupart des passages que j'ai choisis. Puis lui confesse mon stratagème en soulignant que j'ai l'intime conviction que le discours qu'il prononça lors de la panthéonisation de Malraux fut dans une large mesure, même s'il n'en était pas conscient, une projection de ce qu'il est… En somme, qu'en parlant de Malraux il parlait beaucoup de lui.
Le président hésite. Je reprends la lecture de la première phrase : « Le rapport à l'art de Jacques Chirac, qui est sans doute la pierre angulaire de sa vie, n'est qu'une longue interrogation. Dès son adolescence, il court vers le beau comme s'il était en danger… »
« Pour ce qui est de la longue interrogation, c'est évident. Mais je crois que c'est là une caractéristique de tout un chacun…
– Certes, mais commencer par le rapport à l'art n'est pas caractéristique de tout le monde !
– Sans doute… C'est peut-être une des raisons pour lesquelles j'ai essayé de me protéger longtemps du regard des autres. J'étais soucieux de ne pas mélanger les genres… Les journalistes qui parlaient de moi disaient souvent : “C'est un analphabète…” »
Ce n'est pas sa passion pour l'art que Jacques Chirac a protégée, mais ce qu'elle recouvrait et que je m'en vais découvrir au fil de nos entretiens et de mon enquête.
« Vous avez entretenu cette impression et vous n'avez rien fait pour corriger l'appréciation des observateurs…
– Je n'ai rien fait pour la changer parce que je me disais : Au moins, on me fout la paix, j'ai mon domaine personnel et ce n'est pas la peine que les journalistes, pour des raisons politiques, viennent mettre leurs grands pieds dans mon jardin privé… C'est vrai que je n'ai rien fait pour confirmer ou infirmer… Je me souviendrai
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