L'inconnu de l'Élysée
origines… Mais il savait aussi que cette « passion volcanique » ne pouvait être comprise ni même admise dans la sphère politique. D'où le secret jaloux dont il l'a entourée.
Elle affleure çà et là. Quand, par exemple, il raconte à un journaliste du Figaro 4 qu'il avait, avec André Malraux, « des conversations très animées sur le rôle des fétiches dans la découverte des arts africains ». Et assénait alors un mystérieux : « En fait, tout a commencé avec les fétiches. » Si je lui demande une explication de texte, il me répond :
« Le fétiche a une force particulière dans l'art africain, en particulier parce qu'il est l'hôte du bois sacré, et c'est donc par sa tradition et sa permanence dans le bois sacré que s'inscrit toute la culture africaine. » Et d'enchaîner avec passion : « Je considère comme une vraie souffrance la destruction des bois sacrés. Une atteinte gravissime à la dignité humaine. Ça fait partie des drames de l'Afrique, de l'absurdité de la démarche impériale de l'Occident depuis les destructions commises par les conquistadors… La destruction des bois sacrés a réduit l'Afrique à sa plus simple expression sur le plan culturel. »
Autre affleurement quand, lors de l'inauguration du musée du quai Branly, il présente Malaurie à Kofi Annan et demande, on l'a vu, au secrétaire général de l'ONU de préserver le site chamanique de l'Allée des baleines, dans le détroit de Béring, près du cap Chaplino, en Tchoukotka (Sibérie nord-orientale). Ignoré pendant des siècles, ce site où sont disposés mâchoires, crânes et os de baleines franches, a été découvert en 1976. Depuis 1990, Jean Malaurie tente de décrypter les mystères des « hiéroglyphes » figurant sur les « ivoires gravés », et d'appréhender ainsi l'ordre caché de ces terres sacrées. Les propos de Malaurie, dans son livre L'Allée des baleines 5 , permettent à la fois de comprendre l'amitié qui le lie au président et de récolter de nouvelles clés pour poursuivre le décryptage d'un homme qui, à la tête de la cinquième puissance mondiale, essaie d'appréhender la nature des relations nouées par les anciens avec l'univers pour conjurer la mort et les forces hostiles auxquelles ils étaient confrontés. Qui cherche à analyser et comprendre la pensée chamanique en la rapprochant de celle des « sorciers » du plateau de Millevaches.
« Les peuples premiers, dans leur lecture des signes du cosmos, ont une relation dynamique avec la terre et le ciel. Ils se sentent comme en dépendance avec cette horloge céleste qu'ils perçoivent dans leur lecture du mouvement des étoiles qui leur sont familières […]. Nous nous devons d'interroger partout les peuples premiers. Dans le temps long d'une histoire obscure, et jusque dans les grottes préhistoriques de la vieille Europe, ils ont, philosophes de la nature, vécu des expériences inouïes que nos facultés cognitives ne nous permettent guère d'appréhender. Dans un savoir partagé , questionnons-les à nouveau […]. Tentons encore et encore de déchiffrer ces “hiéroglyphes”, ces géométries et “écritures”, sans oublier le message distant des masques cérémoniels qui, de leurs yeux morts, interpellent l'Occidental, cet intrus sur ces terres sacrées […]. Peuples-racines, sans pouvoir d'appel, peuples fossiles de l'Histoire, au terme du rituel obligé de l'“instruction”, on vous jugera alcooliques et dégénérés, oui, mes amis, vous n'avez pas de chance. Il vous faut encore et encore, après avoir été si grossièrement trompés, puis dépossédés, gravir le chemin malaisé de la connaissance “scientifiquement correcte”, avant que vous ne soyez, à la fin des fins, admis en égaux à la table des maîtres […]. La première des idées fausses, hic et nunc , et partout, c'est de croire que l'on sait mieux que les masses ce qui se passe après la mort… »
1 Peu après la date de cet entretien, Pierre Bédier a été condamné en première instance à dix-huit mois de prison avec sursis et trois ans de privation de ses droits civiques pour des faits de corruption passive. Il a fait appel.
2 Entretien avec l'auteur, le 21 janvier 2007.
3 Jacques Chirac , op, cit. , p. 37
4 Le 23 novembre 1996.
5 Mille et une Nuits, 2003.
10.
« Le drame de ma vie »
Il en a parlé !
Bernadette Chirac disait pourtant en 2001 : « Il est très secret. Il ne veut pas aborder le
Weitere Kostenlose Bücher