L'inconnu de l'Élysée
Carlier, auteur de Marcel Dassault, la légende d'un siècle 4 , n'apportent certes pas la preuve de liens financiers directs entre Marcel Dassault et Jacques Chirac, mais conservent de nombreuses factures de L'Essor du Limousin , honorées par l'avionneur…
Abandonnant le délicat sujet du financement de sa carrière politique, j'aborde avec Jacques Chirac celui de l'aide qu'il a pu lui-même apporter à Marcel Dassault, notamment comme secrétaire d'État au Budget. Non seulement il reconnaît avoir joué un rôle dans le lancement du Falcon, mais il le revendique haut et fort.
« Je me flatte d'être le père du Falcon. À l'époque, le directeur général de Dassault était un homme tout à fait remarquable : Béno Vallières (Vallières était son nom dans la clandestinité), grand résistant, Juif polonais, avait sauté plusieurs fois en parachute sur la France. Cet homme éminemment respectable était un grand industriel. Avec Dassault, il avait lancé un petit avion moderne, un biréacteur civil. Ils avaient investi dans la Recherche-Développement. Ils étaient venus me voir – ainsi que plusieurs autres ministres – pour demander de l'aide. Le ministre des Finances était alors Giscard d'Estaing. Les services des Finances, qui ne sont jamais pressés de débloquer de l'argent, avaient fait traîner les choses. Or voici que Vallières réussit à décrocher un marché colossal avec une société américaine dirigée par un des as de la guerre de 14-18. Il négocie. L'heure de la signature arrive. Américains et Français sont réunis au Fouquet's, mais la signature ne peut intervenir que si l'État prend en charge une partie des investissements de Recherche-Développement. Giscard n'a toujours pas donné son aval. Il est alors en Afrique, injoignable. Dassault puis Vallières me téléphonent du Fouquet's : “C'est épouvantable. On doit signer sur l'heure… Comment on fait ? Il faut joindre à tout prix Giscard… – Je vais tout faire pour le joindre…” Je fais effectivement tout mon possible, mais ne parviens pas à entrer en contact avec lui. Je joins ses principaux collaborateurs, notamment son directeur de cabinet qui me dit que son patron est opposé à la prise en charge par l'État d'une partie des dépenses de R&D, et qu'il est donc inutile de chercher à le joindre en Afrique.
« 13 heures, 13 heures 15… Vallières me téléphone : “C'est le désastre. Les Américains sont prêts à signer et on n'a toujours pas l'accord de la rue de Rivoli. – Eh bien moi, je vais vous le donner, cet accord, parce que j'y crois ! Je vous donne mon accord et vous le signerai dès cet après-midi.” Ce que j'ai fait. Le marché a été conclu et ç'a été le début d'une fantastique épopée à laquelle je croyais profondément. Une des plus belles affaires que la France ait faites et qui a compensé l'incapacité de notre pays à donner une suite à la Caravelle. L'État a fait plus que se rembourser et a gagné beaucoup d'argent dans cette affaire. Voilà pourquoi je prétends être le père du Falcon !
« Avant de donner mon accord, j'avais néanmoins pris la précaution de téléphoner à Pompidou qui m'avait dit : “C'est vous qui vous vous occupez de ça. Faites au mieux…” Quant au retour d'Afrique de Giscard, oh là là… Il ne m'a pas serré la main de deux ou trois mois. Il n'était pas content, mais pas content du tout ! »
Serge Dassault confirme de bout en bout le récit du président : « Ça, c'est vrai, il le raconte d'ailleurs tout le temps… Giscard était à l'extérieur, Chirac a signé le projet. S'il ne l'avait pas fait, il n'y aurait jamais eu de Falcon… »
Plus tard, devenu pour la première fois Premier ministre, Jacques Chirac fera tout pour aider Dassault à vendre ses avions militaires.
Le 19 juin 1984, la mairie de Paris fait savoir à Marcel Dassault qu'elle prendra en charge l'entretien de sa tombe. Le 22 avril 1986, c'est Jacques Chirac, redevenu Premier ministre, qui prononcera l'éloge funèbre de l'avionneur en l'église Saint-Louis des Invalides. Il terminera par cette note personnelle : « Pour ma part, avec l'immense et respectueuse affection que, tout enfant, je lui portais déjà, j'en ressens l'empreinte au plus profond de moi. De tout cœur, et avec lui, je souhaite que nous en soyons dignes. »
Au début de l'entretien 5 qui a suivi celui où il m'a longuement parlé de Marcel Dassault, ayant appris ou deviné qu'il ne
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