L'inconnu de l'Élysée
n'a jamais été invité chez nous… Je ne l'ai jamais croisé, nous n'avons jamais fait de pâtés ensemble… Je ne savais même pas qu'il existait. Mon père n'a jamais dit : Tiens, j'ai rencontré un petit garçon formidable… »
Comment et avec qui le petit Jacques Chirac a-t-il donc quitté Parmain ? Michel Basset, « fils de la meilleure amie de sa mère 2 », a raconté 3 cet épisode qu'il a vécu, affirme-t-il, aux côtés de son copain Jacky. Le vendredi 3 mai 1940, aux premières heures, Abel, Marie-Louise et Jacques Chirac partent de Parmain à bord de leur voiture, « surmontée de valises bâchées, une vraie voiture de romanichels », et suivent avec peine la grosse Reinastella de leurs amis Basset. À la faveur de la pause déjeuner, Jacques Chirac s'installe dans la Reinastella aux côtés de Jean-François et de Michel, tandis que la petite Élisabeth Basset grimpe dans la voiture des Chirac. Les deux véhicules parviennent le soir sur le champ de foire de Sainte-Féréole ; les clients du café Dauliac sortent et entourent les « Parisiens ». Le soir, les Chirac et les Basset dînent ensemble dans la maison de famille de Marie-Louise, d'un repas préparé par « la Génie » (Eugénie). Les vieux de Sainte-Féréole ont oublié les détails, mais se remémorent l'arrivée des deux voitures dans la commune. Ils se souviennent des Basset et notamment de Marguerite, l'amie de Marie-Louise. Marguerite et ses enfants sont en effet restés plusieurs semaines à Sainte-Féréole avant de remonter sur Paris.
Jacques Chirac ment-il pour autant ? Je ne le crois pas. Quel intérêt y aurait-il ? Mais il est intéressant de relever que dans son souvenir, Jacques Chirac a remplacé son père par Marcel Bloch-Dassault. Il n'est pas nécessaire de consulter de grands spécialistes pour comprendre comment, à l'insu même de l'intéressé, les mécanismes de sa mémoire ont opéré. Il suffit tout bonnement de l'écouter parler de Marcel Dassault.
Dès le début de l'anecdote où il met en scène ce dernier téléphonant à sa mère, il commente d'un très éclairant : « J'étais un peu son fils… » Le président laisse ainsi s'exprimer l'affection filiale qu'il portait au génial avionneur. Lui, si pudique, a utilisé pour lui des mots qu'il n'a employés pour aucun autre.
« Marcel Dassault était un grand, un très grand monsieur. » Pour illustrer son propos, il évoque un moment d'intense émotion quand il a vu à la télévision Marcel Dassault déplier un petit morceau de papier dans lequel il y avait un trèfle à quatre feuilles, son talisman : « C'est un des moments les plus émouvants que j'aie vécus. Il m'avait déjà montré son talisman, il le sortait avec une infinie précaution d'un papier dont ne subsistait plus que la trame, et il disait : “C'est ça qui m'a sauvé ; il ne m'a jamais quitté.” Ça dénote une croyance dans les choses les plus simples… Autre chose qui m'a impressionné chez lui : c'était un homme qui ne plaisantait pas avec la nation. Ce grand Français n'acceptait pas la moindre mise en cause de la nation. C'était un grand patriote… »
Puis il parle de Serge Dassault et lance une nouvelle fois : « Marcel Dassault m'aurait bien vu comme son fils. »
Je lui demande de me parler des conversations qu'il a eues avec l'avionneur. Il sèche. C'est le mot « affection » qui revient. Il se rappelle cependant une scène du début des années 70. Il passe par le rond-point des Champs-Élysées et décide d'aller saluer Marcel Dassault. « Je monte l'escalier et dis à l'huissier de m'annoncer. J'entends des hurlements et vois Dassault, emmitouflé dans son sempiternel manteau, qui a empoigné une personnalité de la communauté juive française par les revers de sa veste et la secoue comme un prunier avant de la foutre dehors. Marcel Dassault m'a ensuite expliqué les raisons de son courroux : l'homme était venu quémander de l'argent pour Israël, et, trouvant que la somme donnée n'était pas suffisante, avait osé proférer : « Quand même, nous sommes d'abord israéliens avant d'être français… » À partir de cette anecdote, le président bifurque dans une longue digression sur sa haine viscérale de l'antisémitisme.
Jacques Chirac n'a pas gardé beaucoup de souvenirs de Marcel Dassault entre la fin de la guerre et les années 60, confortant ainsi le témoignage du fils de l'avionneur. Pour Serge Dassault, les
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