L'inconnu de l'Élysée
m'avait guère convaincu, le président ne me laisse pas poser ma première question. D'emblée, il me dit comprendre mes doutes, nourris par de nombreuses affirmations contraires aux siennes, et enchaîne :
« Ça m'est égal que vous les fassiez vôtres et les répétiez, mais c'est pour Dassault que je tiens à les réfuter… J'avais pour lui affection, estime et respect. Je n'ai jamais eu de relations financières avec lui, à une exception près dont je vais vous parler. Ça ne me serait pas venu à l'idée et ça ne lui serait pas venu non plus à l'idée. Marcel Dassault m'avait dit que si j'en avais besoin, je pouvais utiliser un de ses Mystère 20 à partir du Bourget. J'en ai emprunté un, une fois, puis une deuxième fois ; la troisième, comme je trouvais cela très pratique, j'ai fait savoir au pilote que, tel jour, à telle heure, je prendrais bien l'avion pour aller je ne sais trop où. J'ai alors reçu ce qui s'appelle un coup de pied au cul, sous la forme d'une lettre extraordinaire. Ma femme en était verte. Cette lettre disait en gros : “Mon cher Jacques, les avions, ça coûte très cher. Ça coûte tant : l'entretien, l'essence, etc. Je trouve tout à fait abusif que vous preniez des avions comme ça. Je vous serais reconnaissant de ne plus recommencer.” Je l'ai pris dans les gencives… Marcel Dassault m'aimait énormément, mais c'était comme ça. Le fond du problème est qu'il ne voulait pas avoir de relations financières avec moi. Il n'y avait pas d'autre explication à ce type de lettre… Ma femme en est restée longtemps abasourdie. Je n'ai pas besoin de vous dire que je n'ai plus jamais demandé à utiliser un de ses avions. Ça, c'était Dassault : on ne mélangeait pas les genres… Il y avait Chirac qu'il aimait bien, Chirac le conseiller technique pour qui il se dérangeait, et puis le Chirac politique avec qui il n'avait pas de relations particulières…
– Sauf pour le parti…
– Je n'ai aucune idée de ce qu'il a fait pour le parti, car je ne m'occupais pas de ces choses-là. Il a, j'imagine, aidé en effet le parti…
– Il l'a lui-même reconnu.
– Ça ne fait donc pas l'ombre d'un doute. »
Serge Dassault n'est pas très chaud, de son côté, pour parler de financement politique. Il confirme néanmoins que son père a aidé Chirac pour sa première campagne électorale, en 1967. Qu'il a certes aidé le RPR, « mais aussi bien d'autres » formations. Ce qui l'intéresse, en fait, c'est de savoir si le président de la République a critiqué devant moi ses propres agissements.
« Non, non.
– Parce qu'il a voulu me nationaliser ! »
Serge Dassault n'a pas digéré l'attitude de Chirac à son endroit et à l'égard de son groupe. Une première fois quand ce dernier était Premier ministre et qu'André Giraud, son ministre de la Défense, refusait qu'il fût nommé président du groupe Dassault à la mort de son père. « La deuxième fois, ç'a été pire, on a été sauvés par la dissolution ! Sinon, le groupe Dassault, c'était fini ! Il parlait de la constitution d'un grand groupe français autour d'EADS. Les discussions ont duré un an. J'ai discuté en tête à tête avec Chirac, il m'a envoyé Jean-Pierre Denis qui m'a emmerdé pendant un an. Je ne sais pas pourquoi il a fait cela, mais c'était vraiment pour m'emmerder… C'était sa volonté à lui, celle de personne d'autre… Je ne peux rien vous dire de plus. Avec moi personnellement, ça ne se passait pas trop mal, mais ça s'est dégradé à propos du Figaro … »
L'attitude du président avait-elle été dictée par des impératifs économiques, ou par le souvenir des confidences de Marcel Dassault, le « père » dont il avait rêvé, sur son fils Serge qu'il n'hésitait jamais à humilier ?
Derrière les mots de Serge sur Jacques et de Jacques sur Serge, il y a décidément beaucoup de non-dits.
1 Voir supra , chapitre 15.
2 Voir supra , chapitre 14.
3 Jacques Chirac. Une éternelle jeunesse , op. cit.
4 Perrin, 2002.
5 Le 10 septembre 2006.
17.
Pompidou, le père spirituel
Dans La Lueur de l'espérance 1 , Jacques Chirac parle de Pompidou comme de celui qui a « guidé ses premiers pas dans la politique » : « J'en ai éprouvé de la joie, et peuvent le comprendre ceux qui ont connu la force de l'attachement qu'un cadet, dans la vie, peut porter à son aîné. » Il parle aussi à son propos de « paternité spirituelle » et se laisse aller à
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