L'inconnu de l'Élysée
Gaulle qu'avec Pompidou. Je me souviens du Général me demandant ici, à l'Élysée, avant le référendum : “Qu'est-ce qu'on dit, dans votre circonscription ? – Vous savez, c'est une circonscription plutôt à gauche. Je crains que les résultats ne soient pas très bons…” Je ne l'aurais pas dit en ces termes à Pompidou.
« Oui, j'avais pour Pompidou un très grand respect. Sa vision de l'art moderne m'a toujours ébloui… C'était pour moi, d'une certaine façon, sur le plan moral et culturel, l'archétype du Super-Français. Doué de racines solides, il était d'une immense culture, formé au grec et au latin. Ses discussions avec Senghor étaient fascinantes. Il était beaucoup plus cultivé que le Général… C'était une personnalité exceptionnelle, mais ce n'était assurément pas un homme sur le ventre de qui on pouvait taper. »
Revenant sur le lien que Pompidou voulait instaurer entre l'Art et la Cité, le président me raconte comment il sauva le Centre Georges Pompidou :
« Quand j'ai été nommé Premier ministre, Giscard me convoque pour me parler d'un certain nombre de projets, dont le Centre Pompidou qui en était au stade des fondations. Il me dit : “Ce projet est ridicule, il n'a aucun sens, on le supprime.” Je lui objecte : “C'est pourtant intéressant…” Il y avait alors à la Culture Michel Guy, qui avait été nommé ministre par Giscard grâce à Pompidou et à qui je garde un chien de ma chienne ! Je demande à Giscard si Guy est d'accord pour supprimer le Centre Pompidou. Il me répond que oui. Je proteste : “Ce n'est pas possible, M. le président. Si votre décision est prise, il va falloir que vous changiez de Premier ministre !”
« J'ai rencontré une fois Michel Guy à qui j'ai dit qu'il se déshonorait. Je ne l'ai plus jamais revu. Je n'ai plus accepté de le revoir. J'étais vraiment en pétard. Finalement, on a sauvé de justesse le Centre Pompidou. Sans moi, il était cuit. »
Celui qui se considérait comme l'exécuteur testamentaire de Georges Pompidou était donc prêt à sacrifier sa carrière si le testament artistique du président disparu n'était pas respecté.
1 Op. cit.
2 Jacques Chirac , op. cit.
3 Jean Cau, Croquis de mémoire , Julliard, 1985.
4 Raymond Marcellin, L'Importune Vérité , Plon, 1978.
5 Georges Pompidou, Le Nœud gordien , Plon, 1974.
III
Objectif Élysée :
la longue marche
19.
La conquête de l'UDR
À 42 ans, voici Jacques Chirac devenu Premier ministre. Il y aurait là de quoi satisfaire tout jeune ambitieux. Pas lui. Il a accepté cette nomination à reculons, exclusivement parce qu'il croit que c'est la seule façon d'atteindre son principal objectif : prendre la direction de l'UDR qui, seule, lui permettra un jour d'être le digne fils spirituel de Georges Pompidou en accédant à la fonction suprême. D'où cette phrase de Chirac en acceptant le poste : « J'accepte… mais il est possible que vous le regrettiez. »
De son côté, Giscard a grandement sous-estimé son Premier ministre dont il attend qu'il lui apporte le parti gaulliste sur un plateau. Il confie à son secrétaire général, Claude-Pierre Brossolette : « C'est un enfant, Chirac. Il n'a pas d'envergure. Il me sera toujours fidèle. » Moins de sept mois après son installation à Matignon, Chirac aura déjà réussi son premier pari en ayant pris à la hussarde le parti gaulliste, malgré l'opposition de tous les « barons ». Alors même qu'il a franchi une fois de plus des obstacles qui semblaient insurmontables, son image s'est néanmoins dégradée. Son propre camp, abasourdi par le culot du grand échalas, faute de n'avoir pas réussi à empêcher son irrésistible ascension, a commencé à brosser de lui le portrait d'un politique roué, cynique, brutal, prêt à tout pour parvenir à ses fins. Au mieux, un succédané du Bonaparte du 18 Brumaire ; au pire, un jeune décalque de Pinochet. Pour faire bonne mesure, « Facho-Chirac » apparaît de surcroît, aux yeux de beaucoup, comme un Premier ministre au rabais, ne faisant pas le poids face au brillantissime Giscard. Derrière les gros titres qui s'affichent, ses importantes réformes sociales, dans le droit fil de celles qu'il avait commencé de mettre en œuvre en 1967-68, restent dans l'ombre.
Tout a mal commencé. D'emblée, Giscard, peu désireux de partager le pouvoir avec son Premier ministre, lui a imposé la plupart des membres de son gouvernement,
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