L'inconnu de l'Élysée
ministre remet sa démission au président qui lui demande de surseoir jusqu'à la rentrée. Le 25 août au matin, avant même l'arrivée du président, Jacques Chirac annonce sa démission devant les ministres réunis en Conseil. Il estime n'avoir pas disposé des moyens nécessaires pour affronter une situation difficile : « Je n'ai pas obtenu les moyens et la liberté que je demandais. » Et, s'adressant à « Ponia » et à Lecanuet : « Certains d'entre vous ont compliqué ma tâche. En affaiblissant la cohésion gouvernementale, ils ont affaibli la majorité. »
Après l'arrivée de Giscard, le Premier ministre reformule sa démission. Le président l'accepte en émettant quelques commentaires fielleux. Jacques Chirac a ensuite un très rapide tête-à-tête avec le chef de l'État. Il lui déclare qu'il n'entendra plus parler de lui en politique. Quelques instants plus tard, depuis Matignon, il annonce son départ devant les caméras : « J'estime aujourd'hui que je ne possède pas les outils nécessaires pour assumer mes fonctions de Premier ministre, et, dans ces conditions, j'ai décidé d'y mettre fin. »
Le ton est rageur. La guerre entre Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing est devenue totale.
L'après-midi, le Premier ministre démissionnaire réunit l'ensemble des membres de son cabinet et commente l'événement : « J'ai choisi Giscard d'Estaing en 1974 parce qu'il n'y avait pas d'autre option possible. Je n'avais plus les moyens de gouverner. Je n'ai d'ailleurs pas hésité, ce matin, en plein Conseil, à déclarer devant le président de la République que certains ministres, qui se sont reconnus sans peine, se sont employés à me rendre la tâche impossible. Mon combat politique se poursuit au sein de la majorité présidentielle en vue d'épargner à la France les affres de la venue au pouvoir d'une coalition dominée par les communistes. Je ne suis pas opposé à l'alternance, mais une telle éventualité est obérée par la présence des communistes au sein de la coalition de gauche. Or il n'y a pas de cas où les communistes arrivés au pouvoir l'aient abandonné de leur plein gré. Au train où vont les choses, la coalition de gauche gagnera les élections municipales de 1977, puis les élections législatives de 1978. C'en sera alors fait de la liberté et de la démocratie dans notre pays. Car comment imaginer qu'après avoir quêté le pouvoir pendant vingt ans, M. Mitterrand veuille jamais, après l'avoir conquis, le remettre en jeu ? Vous m'entendez bien : si la gauche arrive au pouvoir, il n'y aura plus d'élections présidentielles à l'avenir ! »
Ce ton vindicatif traduit la volonté de Jacques Chirac d'en découdre à droite comme à gauche ; il colle bien avec le portrait qu'amis et ennemis font et se font alors de lui.
Quel a été son bilan à ce premier poste de hautes responsabilités ? Jacques Chirac a rarement droit à une analyse sereine de son action. Raymond Barre, son successeur à Matignon, ne s'est pas privé de dire qu'il avait trouvé, à son arrivée, les caisses vides et une situation pour le moins catastrophique. Dix ans plus tard, Christine Mital émettait dans L'Expansion un jugement plutôt mitigé, rappelant que l'inflation était alors tombée de 15 à 10 %, que la production s'était redressée, mais qu'en revanche, sous l'effet du « choc pétrolier », le nombre des chômeurs avait doublé et le déficit commercial s'était creusé.
Subsiste un mystère dans les relations entre Giscard et Chirac : malgré les coups que lui a portés le premier – auxquels, il est vrai, il a fort bien répondu –, le second conserve aujourd'hui encore une certaine fascination pour son intelligence et préfère croire que, sans « Ponia », il aurait pu s'entendre avec lui : « C'est Ponia qui m'a brouillé avec Giscard. Il a tout fait pour nous fâcher. Sans lui, cela aurait pu marcher entre nous. Je me serais fait au fonctionnement de Giscard, j'avais assez de personnalité, et mon jardin secret était préservé… Ponia a été le mauvais génie de ma relation avec lui. »
Cette explication me semble pour partie une reconstruction du passé qui permet de mieux intégrer l'admiration qu'il a longtemps vouée à Giscard et son engagement à ses côtés pour le porter à l'Élysée. En 1974, ne déclarait-il pas : « Je suis très loin d'avoir les capacités intellectuelles du président de la République… C'est probablement
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