L'inconnu de l'Élysée
d'un petit remaniement ministériel imposé par Giscard début janvier 1976, « Ponia » et Jean Lecanuet, les deux ministres les plus hostiles à Chirac, ont pris du galon et sont devenus ministres d'État. L'hôte de Matignon va dès lors commencer à laisser entendre au président de la République qu'il va bientôt lui falloir trouver un autre Premier ministre. Les élections cantonales de mars 1976 sont une catastrophe pour la majorité. Le chef de l'État est ébranlé alors que les critiques épargnent dans une large mesure son chef de gouvernement. Influencé par Pierre Juillet, Giscard, fin mars, confie à Jacques Chirac « le soin de coordonner et d'animer l'action des partis politiques de la majorité », faisant ainsi de lui le patron de cette majorité avec des pouvoirs accrus. Puis, se ravisant, il décide de reprendre ce qu'il a imprudemment concédé à son Premier ministre. Dès lors, le compte à rebours de la rupture a commencé. « Si vous voulez ma place, monsieur le Premier ministre, dites-le franchement », lance un jour, agacé, le président.
Le 23 mai est lancée par Jean Lecanuet et Jacques Duhamel, soutenus par « Ponia », ce qui va bientôt devenir l'UDF. Chirac a compris : la guerre a repris de plus belle. Dès lors, il cherche un prétexte pour quitter Matignon dans les meilleures conditions, prêt à transgresser la règle non écrite selon laquelle le Premier ministre occupe son poste par la volonté du président, ce dernier décidant de sa nomination comme de son départ.
Conscient du danger, Giscard invite le couple Chirac au fort de Brégançon pour la Pentecôte. Journalistes et essayistes ont beaucoup glosé sur le choc de leurs deux manières d'être. D'un côté, un président qui, au fil du temps, poussé par un incommensurable ego, s'est pris pour un Capétien renouant avec l'ancienne étiquette, comme Louis XVIII et Charles X après 1815. De l'autre, un Premier ministre qui, tout en ayant consolidé ses origines bourgeoises par un cursus d'énarque, se considère, lui, le Parisien, comme un pur Corrézien aux semelles crottées. « J'ai compris ce jour-là que Giscard ne supportait pas que ses enfants dussent passer après le Premier ministre. S'il y avait eu une prochaine fois, c'était clair : Bernadette et moi passions après le chien ! » a-t-il raconté à Bernard Billaud 6 , cinq mois après la rencontre de Brégançon.
Dernier d'une longue liste, j'interrogeai à mon tour Jacques Chirac sur son séjour dans la résidence d'été des présidents. Il reconnaît bien volontiers que le séjour à Brégançon ne fut pas la cause première de sa démission, mais que ce week-end mit en pleine lumière la véritable nature de leurs rapports :
« Ce qui m'a d'abord choqué, c'est que nous sommes restés dans notre chambre, l'après-midi du samedi, sans qu'il se passe rien jusqu'à 19 heures 30. Le lendemain, pour le dîner, Giscard avait invité son moniteur de ski (l'hiver) et de natation (l'été), ainsi que la femme de celui-ci. Des gens très gentils, très modestes. Ils arrivent. Cela a été affreux : Anémone avait dit à Bernadette de venir en robe longue. Il est venu en polo, elle en petite jupette. J'en étais malade. Cette pauvre fille a passé tout son temps, pendant l'apéritif, à tirer sur sa jupe pour essayer de lui faire gagner quelques centimètres. On voyait bien qu'elle était malheureuse, désespérée d'être là. On ne fait pas des choses comme ça, ou alors on prévient. J'ai trouvé que c'était au-delà de la faute de goût. C'était inadmissible ! Les deux invités étaient terrorisés. Vous vous rendez compte : ils se retrouvaient face au président de la République et au Premier ministre, et à leurs épouses en robe longue ! Mettez-vous à la place de ce pauvre garçon à qui on n'adressait pratiquement pas la parole. Je me suis décarcassé pour essayer de leur faire la conversation, notamment à la jeune femme, mais elle ne me répondait même pas. Elle était tétanisée. On ne se permet pas des choses pareilles. Il faut toujours traiter les gens avec respect. Là, c'était bel et bien un manque de respect. En plus, pour l'apéritif, il y avait deux fauteuils pour le président et sa femme, et des tabourets pour nous, les quatre autres ! C'était franchement mal élevé. »
Et Jacques Chirac de conclure par un vigoureux : « J'en avais marre ! » Moins d'un mois plus tard, le 4 juillet 1976, le Premier
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