L'inconnu de l'Élysée
Dassault vouait une très grande affection à Jacques Chirac. Avant son arrivée à Matignon, il avait l'habitude de dire à son sujet : “Il ira loin, ce petit.” Il avait une grande confiance dans ses orientations politiques et partagea vite ses raisons d'encourager une politique d'indépendance nationale de l'Irak, l'incitant à rompre son alignement sur l'URSS. Marcel Dassault finit par être totalement convaincu de l'importance, pour la France, de mener une grande politique arabe. Il était même assez fier d'avoir obtenu le marché irakien. Et puis, les affaires sont les affaires… Il croyait de surcroît en la force de persuasion. Quand il avait un ennemi, qu'une personne lui faisait du mal, il me disait : “Invitez-le donc à déjeuner.” Pour lui, de la même façon, il suffisait de persuader Saddam Hussein de ne pas attaquer Israël… » Dès novembre 1975, des officiers de l'armée de l'air irakienne sont envoyés visiter les usines où se fabriquent les éléments du F1 qu'ils espèrent acquérir. Le même mois, les deux gouvernements signent un accord de coopération nucléaire.
Moins de deux mois après la signature de cet accord, en janvier 1976, au retour d'un voyage officiel en Inde, Jacques Chirac fait escale à Bagdad en compagnie de Raymond Barre, ministre du Commerce extérieur, pour rencontrer l'ami Saddam et s'enquérir de l'avancement des pourparlers entre les Irakiens et la Snecma, Dassault, Thomson et Matra.
Jacques Chirac démissionne à la fin de l'été et c'est Raymond Barre qui chausse immédiatement ses bottes, comme Jacques Chirac avait fait naguère de celles de Pierre Messmer. Le 25 juin 1977, le nouveau Premier ministre se déplace à Bagdad pour y signer un premier contrat portant sur 36 Mirage F1, le dernier modèle.
Il est généralement admis que les contrats conclus avec l'Irak ont été bénéfiques pour le parti gaulliste et pour d'autres partis, ainsi que nous l'avons nous-mêmes appris lors de notre enquête sur Marcel Dassault 5 . Proche collaborateur de l'avionneur, le général Gallois, qui se plaignait des hémorragies d'argent provoquées par son soutien aux partis politiques, fait dire à son patron : « Mais, mon cher Gallois, vous n'avez rien compris : je finance la démocratie, je finance tous les partis, il le faut ! Nous vendons beaucoup à l'exportation, c'est l'étranger qui finance les campagnes politiques. Il suffit de majorer un peu les prix de vente à l'exportation ! » Gallois nous a confirmé ces dires de Marcel Dassault : « C'est effectivement l'étranger qui finançait les campagnes politiques. Il suffisait de majorer un peu les prix. De toute façon, sans commission pour les intermédiaires, on ne vendait rien, que ce soit aux pays arabes ou ailleurs. C'était facile : on demandait l'autorisation de payer un certain nombre d'intermédiaires locaux et on ne leur en versait qu'une certaine partie. Exemple : sur 50 millions, 25 étaient réglés aux intermédiaires du pays acheteur ; quant aux 25 restants, grâce à la complicité des banques, ils revenaient en espèces, via des paradis fiscaux, aux partis politiques. La France n'était pas la seule à user de telles pratiques. Les Américains de Lockheed faisaient de même pour arracher des marchés avec la Suisse, et rappelez-vous le scandale qui éclata aux Pays-Bas : le prince Bernhard en personne touchait des pots-de-vin ! »
Le marché irakien a ainsi beaucoup aidé Dassault à « financer la démocratie » par la surfacturation de ses avions. Le montant des commissions, rétro-commissions et surfacturations pouvait faire l'objet d'âpres discussions. Le général Gallois fournit quelques détails croustillants sur les bénéficiaires des largesses de Marcel Dassault : « L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing faisait partie des fidèles habitués. Michel Poniatowski venait au rond-point des Champs-Élysées. On appelait Jeannine Grandin, la secrétaire particulière de Dassault : “Jeannine, apportez-moi le paquet n? 8”, lançait l'avionneur… » Si le nom de Jacques Chirac n'est pas sorti, celui de son parti était bien sûr affiché comme une des « danseuses » du généreux Marcel. Gageons même que la formation gaulliste était sa danseuse étoile.
Le fossé entre VGE et son Premier ministre ne cesse de se creuser alors même que Jacques Chirac continue à manifester la plus grande déférence envers le président de la République.
À l'occasion
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