L’Inconnue de Birobidjan
sâefforçant de cacher sa mélancolie, de ne pas gâcher leur dernière tournée et leur bonheur en songeant à lâavenir.
Ils devaient rejoindre la garnison dâAmurzet, sur la frontière, lâune des plus éloignées au sud-ouest de Birobidjan. Mais Apron bifurqua et sâengagea sur une piste cahotant dans la taïga marécageuse qui bordait la Bidjan, un affluent de lâAmour. Une région infestée de moustiques quâils avaient rapidement traversée durant lâété. Avec la fraîcheur annonciatrice de lâhiver, les moustiques avaient presque disparu.
Bientôt, en retrait de la route boueuse, Marina devina une légère élévation où lâon avait construit une longue isba basse. Son toit de tôle était rouillé mais ses murs de rondins étaient peints dâun bleu éclatant. Contrairement à lâhabitude, elle nâétait pas entourée de granges, de potagers et de poulaillers. Seules des charrettes attelées à des mules étaient parquées sur le côté.
Le bruit de la ZIS les annonçait de loin. Quelques personnes les attendaient devant lâisba. Les hommes portaient des manteaux noirs, des chapeaux à larges bords. Leurs visages disparaissaient sous les barbes. Têtes et bustes enveloppés de châles colorés, vêtues des robes bouffantes à jupons quâon ne sortait quâaux grandes occasions, les femmes formaient un groupe à part.
â Câest pour nous quâils se sont habillés comme ça ? sâétonna Marina.
Michael opina. La camionnette sâapprocha de lâisba au ralenti. Une pluie fine commençait à tomber. Dès que laZIS sâimmobilisa, les hommes entourèrent Apron. Marina se retrouva entre les mains des femmes qui lui souhaitaient la bienvenue. Aimablement mais avec gravité, sans rien de la gaieté des accueils auxquels elle était accoutumée.
Les hommes entraînèrent Apron à lâintérieur de lâisba. Marina sâinquiéta :
â Que se passe-t-il ? Quelquâun est malade ?
Les femmes la dévisagèrent, interloquées.
â Tu ne sais pas où tu es ?
â Non. Le docteur ne mâa pas dit.
Quelques rires timides résonnèrent. Une petite femme ronde insista :
â Tu ne sais vraiment rien de rien ?
â Quâest-ce que je devrais savoir ?
Des femmes gloussèrent derrière leurs mains.
â Que tu vas te marier.
â Me marier ?
â Ce nâest pas pour ça que tu es venue devant notre synagogue ?
Il y eut beaucoup de joie. Ravies, moqueuses, les femmes refusaient de croire quâApron avait conduit Marina à la synagogue pour lâépouser sans même la prévenir. Elles la taquinèrent gentiment :
â Réfléchis bien. Tu peux encore filer. Si tu nâentres pas dans la synagogue, si tu restes ici, dans le marais, demain tu seras encore une femme à marier.
Finalement, un homme ressortit de lâisba. Câétait le rabbin. Il expliqua que la cérémonie ne serait pas pleinement ce quâelle devrait être. Bien des rituels ne pourraient être accomplis.
â Pas de bain rituel, de mikvé , pas dâétude de la Niddah , et bien sûr vous nâavez ni lâun ni lâautre de kétouba , de contrat de mariage. Mais ce nâest pas grave. Ici, dans ce pays, lâÃternel, béni soit Son nom, en a vu dâautres. Ce qui compte, câest ce que vous avez apporté dans vos cÅurs.
Il expliqua que le jour du mariage était aussi un jour de repentir pour les fautes passées. Marina et son époux devantDieu allaient entrer dans une vie nouvelle, une âme nouvelle, née de leur union, et qui serait sans souvenir du passé si lâÃternel leur accordait le pardon. Câest à cela que Marina Andreïeva devait penser, même si elle ne connaissait pas la prière de Kippour.
Tout alla très vite. Les femmes escortèrent Marina dans lâisba. Lâintérieur était un espace modeste, meublé de simples bancs, dâune sorte de bibliothèque à une extrémité et, à lâopposé, dâun autel supportant un candélabre à sept branches et un cylindre de bois blond contenant le rouleau de la Torah. Au centre, quatre piliers soutenaient un
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