L’Inconnue de Birobidjan
ressorts du siège grinçaientsous elle et semblaient vouloir la projeter contre le toit de tôle. Le soleil du matin était déjà éblouissant et la chaleur montait vite. Lâintérieur de la ZIS sentait lâhuile, lâessence, le cuir usé. Marina ne parvenait pas à parler. Elle nâosait même pas tourner la tête vers Michael. Elle attendait quâil fasse un geste. Elle, elle ne le pouvait pas. Elle ne savait pas pourquoi. Il fallait que ce soit lui qui pose la main sur elle.
Ils roulèrent encore un quart dâheure ainsi, dépassèrent les dernières isbas de Birobidjan éparpillées le long de la piste. Des femmes en fichu levèrent la main. Apron klaxonna, cria des saluts en yiddish. Puis il nây eut plus que des champs recouverts de fleurs blanches, ondulant tel un immense drap jusquâaux pentes dâune forêt de hêtres et de mélèzes. Ils en atteignirent la lisière plus vite que Marina ne sây attendait. La camionnette quitta la grande piste, pénétra dans le bois, sâenfonça au ralenti dans un chemin. Marina cria enfin par-dessus le bruit :
â Michael, où vas-tu ?
Il rit sans répondre. Les branches fouettèrent les flancs de la ZIS. Une étroite clairière sâouvrit devant eux avec, au centre, une minuscule isba de charbonnier au toit de tôle luisant comme de lâargent.
Apron coupa le moteur. Le silence se fit, incroyable. Avant que Marina puisse bouger, Apron la prit dans ses bras. Un baiser. Un long baiser. Puis il la souleva, la porta jusquâà lâisba. Au-dessus dâeux, le feuillage bruissait sous le vent.
â Michael, où sommes-nous ?
â Chez nous. Ne crains rien. Jâai cru mourir dâattendre.
Â
Le bonheur commença. Un pur bonheur, sans nuages, sans crainte, sans limites.
Apron raconta à Marina comment il avait découvert, à la fin de lâété précédent, cette isba à demi en ruine. Chaque fois quâil sâabsentait de Birobidjan, il lâavait discrètement retapée.
â Enfant, aux Ãtats-Unis, câétait mon rêve, dit-il. Avoir une cabane dans la forêt.
â Tu ne mâen as jamais parlé.
â Je voulais te faire la surprise. Je cherchais le moyen de venir ici avec toi. Puis Iaroslav a convaincu le comité de faire ces tournées !
Il était impossible de croire quâils étaient à la fois si près et si loin de Birobidjan. Lâisba était composée dâune seule pièce. Un plancher surélevé à larges lattes la protégeait de lâhumidité du sol. Le lit était encastré dans une sorte dâarmoire aux portes coulissantes. Un poêle de fonte servait de fourneau. Deux chaises, une table, un évier de zinc muni dâun écoulement traversant la cloison complétaient lâéquipement. Une maison de poupée. Pour lâeau, il fallait aller remplir des seaux dans un ruisseau tout proche. Lâhiver, il suffisait de ramasser la neige.
Lâodeur et la vie de la forêt imprégnaient tout. Les oiseaux et les animaux, qui sâétaient tenus à lâécart après leur arrivée, recommencèrent à peupler le silence. Le soleil jouait à travers les arbres. Après lâamour, leur peau nue encore toute gorgée de désir, Apron entraîna Marina sur lâherbe drue de la clairière. Comme des enfants ils dansèrent sur les taches dorées qui fuyaient sous leurs pieds. De sa vie Marina nâavait jamais été aussi libre. Sans un autre regard sur elle que celui de son amant. Sans autre désir que celui dâaimer.
Au soir, il faisait assez chaud pour quâils puissent laisser la porte de lâisba ouverte. Avant dâallumer une petite lampe à pétrole dans la cabane, Apron déroula une moustiquaire. Sur les braises qui avaient servi à réchauffer les gamelles de nourriture préparées par Grand-maman Lipa, il jeta un peu de poudre de pyrèthre. Une odeur que Marina nâavait encore jamais respirée. Apron sâen amusa, la caressant encore et encore.
Dans la nuit, les bruits de la forêt parurent plus intenses et plus mystérieux que dans la journée. Quand Apron éteignit la lampe, le monde invisible parut se déchaîner autour dâeux. Peau contre peau, ils demeurèrent les
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