L’Inconnue de Birobidjan
véhicule, qui quitta aussitôt la clairière. Maintenant les armes étaient pointées sur Marina qui sanglotait : « Mon époux, mon époux, mon épouxâ¦Â », sans quâun bruit sorte de sa bouche.
Levine lâattrapa sous les bras et la releva. Il gronda :
â Tu veux savoir pourquoi ?
Elle entendit encore des ordres, le cliquetis des armes et la voix de la Zotchenska pendant que Levine la poussait sur le seuil de lâisba. Lâintérieur nâétait plus quâune ruine. Le lit était détruit, les lattes du plancher arrachées laissaient voir la terre entre les solives, lâévier et le poêle étaient démantibulés, la table brisée. Du matériel, la ferraille gris-vert dâun appareil dâémission radio, une antenne repliable, des carnets à couverture de carton, deux liasses de roubles et un pistolet dans son holster de cuir recouvraient le matelas.
Levine serra durement le bras de Marina.
â Je tâavais prévenue de ne pas tâapprocher de lui.
La Zotchenska était de nouveau derrière eux. Les soldats avaient remis la sangle de leur arme à leur épaule. Levine répéta :
â Je tâai dit que lâAméricain était un espion. Pourquoi tu ne mâas pas écouté ?
Elle cria :
â Tu mens ! Michael est médecin ! Juste médecin. Tout le Birobidjan le sait.
La Zotchenska pointa de son arme le matériel radio sur le lit.
â Câest avec ça quâil te soignait ?
â Câest vous qui lâavez apporté ! hurla Marina. Câest vous qui avez manigancé tout ça !
Levine ricana. La Zotchenska tira Marina en arrière et la gifla une fois de plus.
â Tais-toi ! Ãa suffit ! On tâa assez entendue, la star de Birobidjan !
Elle poussa Marina dans les bras des soldats. Ils la traînèrent jusquâau second fourgon. Avant dây monter, elle les retint, le temps de hurler quelques mots qui disparurent dans le silence de la forêt.
Quatrième journée
Washington
25 juin 1950
Le 24 juin 1950 au soir jâignorais encore tout des épousailles clandestines de Marina Andreïeva Gousseïev et de Michael Apron, ainsi que leur arrestation.
Après lâaudience houleuse qui venait de se clore, et une fois Marina disparue entre les flics, McCarthy, Cohn, Nixon, Wood et Mundt entamèrent un conciliabule. Nixon continuait de se masser lâépaule, histoire de rappeler à chacun quel danger il avait affronté.
Je ne traînai pas et glissai le long de la table des sténos en évitant de regarder Shirley. Mais impossible dâéchapper à son parfum. Ce parfum français quâelle ne quittait plus et qui donnait envie de lâembrasser dans le cou. Jâeus un pincement au cÅur en songeant à la soirée en solitaire qui mâattendait à la place de notre dîner Chez George.
Les collègues qui mâavaient assailli un peu plus tôt avaient disparu du hall. Je devinai où les trouver. Je voulus en avoir le cÅur net et dévalai en vitesse les escaliers menant à la cour intérieure du bâtiment.
Je les entendis avant dây parvenir. Les photographes se bousculaient à lâarrière du fourgon cellulaire. Les flics retenaient Marina sur le marchepied, et la meute la mitraillait. Les flashes rebondissaient sur la tôle noire, aveuglants. On ne lui avait pas laissé refaire son chignon. Les mains menottées, elle tentait de repousser ses cheveux dénoués. Sa blouse déchirée flottait sur sa poitrine et laissait entrevoirun peu de chair très pâle. Pas difficile dâimaginer les images que les lecteurs des torchons de Hearst allaient découvrir le lendemain.
Un photographe lui lança une injure. Elle nâeut pas le temps de comprendre le piège. Elle se tourna, cracha dans sa direction. Les flashes crépitèrent avec un bel ensemble. Le joli cliché que ça allait être ! Les flics rigolèrent. à ce moment-là elle leva les yeux et rencontra les miens. Jâétais resté sur le perron, dépassant la horde de la tête et des épaules. Je devais avoir lâair aussi horrifié quâahuri. Ce regard dâelle que jâattendais depuis deux jours, il était là . Elle me sourit. Aussi brièvement
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